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Page:Améro - Les aventuriers de la mer.pdf/133

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LES AVENTURIERS DE LA MER


c’est alors un navire de plus considéré comme perdu corps et biens par défaut de nouvelles.

Que de risques de mer, que de périls, que d’aventures douloureuses ! Faut-il qu’il s’y ajoute la fraude et le crime ! Il y a des armateurs peu scrupuleux qui lancent au loin des navires hors de service, ce que les matelots anglais appellent des « navires-cercueils ». En 1870, un membre de la Chambre des communes, M. Samuel Plimsoll, dénonça en plein Parlement ces agissements coupables qui exposent à la mort un équipage tout entier. Le navire, il est vrai, est assuré au-delà de sa valeur, on en pourrait dire autant du chargement… Eh ! c’est parce que les compagnies d’assurances se montrent parfois trop faciles dans leurs contrats, qu’une infernale idée a pu germer dans certains cerveaux : tenter une opération où il y a beaucoup à gagner en aventurant seulement l’existence de marins trop confiants… On a dit quelquefois que les affaires sont l’argent des autres ; ici, les affaires sont la vie des autres.

M. Plimsoll a dit aussi comment par un calcul cupide, bien des fois, des bâtiments de commerce reçoivent un chargement hors de proportion avec leur tonnage. Il a vu partir de Newcastle un navire portant près du double de ce qu’il pouvait raisonnablement contenir, et qui se dirigeait vers la Baltique en plein hiver, son pont ne dépassant que de deux pieds le niveau de la mer.

Mais il y a une fraude plus criminelle encore parce qu’il n’y est laissé aucune part à l’imprévu, aux circonstances favorables. Il y a préméditation, et l’exécution a lieu grâce au concours de quelque scélérat à la solde d’un infâme spéculateur. Un bâtiment de commerce s’éloigne d’un port avec un chargement de médiocre importance, couvert plusieurs fois par une assurance : il s’agit de le faire périr. Un traître s’est glissé parmi l’équipage pour travailler à la perte du navire, en y pratiquant une voie d’eau. Ce malhonnête ouvrier accomplit dans les ténèbres son œuvre de destruction ; vienne pour lui l’occasion de pourvoir à son salut, et le navire sera abandonné, portant dans ses flancs une blessure qui est sa condamnation à courte échéance. Il est sabordé, sa voie d’eau ne pourra être bouchée ; il coulera, et l’armateur touchera la prime d’assurance. Le coup est fait ; il peut se recommencer demain : la fortune est au bout. La vie des marins tient à si peu de chose ! un hasard de plus pour eux ! Restent les veuves et les orphelins… Qui sait ? Ces messieurs qui ne manquent pas d’une certaine « honorabilité », leur font peut-être des pensions.