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Page:Améro - Les aventuriers de la mer.pdf/137

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LES AVENTURIERS DE LA MER


de profiter de la chance que leur offre une des embarcations du bord. C’est ainsi qu’au moment du naufrage du vaisseau anglais l’Union sur un banc de sable de l’île de Ré, en 1775, on vit le capitaine Neal crier au pilote de couper les cordes d’un côté de la chaloupe tandis qu’il les coupait à l’autre extrémité ; mais, faute d’ensemble dans le mouvement, la chaloupe entra d’un côté dans l’eau et fut submergée et le capitaine noyé. C’est ainsi encore que le capitaine de la Méduse, confortablement installé dans le principal de ses canots, fit trancher les amarres du radeau qu’il s’était solennellement engagé à ne pas abandonner.

Il y a des capitaines qui devant l’imminence d’une catastrophe, amenée peut-être par leur impéritie, perdent la tête et se donnent la mort : c’est une autre manière de faillir à son devoir. Le capitaine Carsin commandait les Deux-Amies de Bordeaux ; il échoua en vue des côtes du Maroc, et devant la perspective des traitements barbares qui attendaient et lui et son équipage, proposa d’abord de faire sauter le navire, et ne fut pas écouté ; alors s’étant jeté sur son lit, il se tira deux coups de pistolet dans la bouche.

Après avoir échappé à la mort immédiate, quelles souffrances n’endurent pas les tristes privilégiés qui n’ont survécu au naufrage que pour se trouver à des centaines de lieues de toute terre, dans une étroite embarcation sur une mer encore menaçante, sans vivres, sans eau, à peine vêtus, sans rien pour s’abriter des ardeurs du soleil, sans rien pour se couvrir par les froides nuits, sans cartes, ni boussole ! Ils sont exposés à mourir de faim, mort plus lente, mais bien plus cruelle que la mort trouvée par ceux qui ont péri.

Et pourtant, pour conserver ce mince avantage qui leur est offert de respirer encore, il leur a fallu peut-être, oublieux de tout sentiment humain, sacrifier des existences à la leur. On a vu des naufragés entassés dans un canot à le faire couler, éloigner d’eux sans pitié en les frappant de leurs sabres, en leur faisant lâcher prise à coups de hache, les malheureux qui s’accrochaient à leur embarcation, au risque de la faire chavirer. Et dans ce canot où ils ont trouvé asile, pour y arriver, quelques-uns, sachant nager, ont dû se débarrasser d’un noyé qui les saisissait par les pieds, qui les embrassait dans une étreinte mortelle et les faisait couler à fond. Ils ont été forcés, pour revenir à la surface, de se dégager à n’importe quel prix…

Lors de l’incendie du Cospatrick, de deux embarcations qui s’éloignèrent du lieu de la catastrophe, une seule devait être secourue. Elle