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LES AVENTURIERS DE LA MER


Birkenhead venait de toucher sur un écueil encore inconnu des marins. La pointe de la roche avait pénétré jusque dans la chambre des machines, livrant passage à une quantité d’eau si considérable que plusieurs hommes furent noyés dans l’entrepont.

Malgré la soudaineté de la catastrophe, aucune confusion ne succéda au premier mouvement de terreur. Les matelots, sur l’ordre de leur capitaine, préparèrent les canots, tandis que, rassemblés sur le pont par leurs officiers, les soldats attendaient en silence qu’on disposât d’eux. Quand tout fut prêt, les femmes et les enfants, qui étaient nombreux, furent descendus dans les canots, avec les marins indispensables à la manœuvre et quelques soldats. Cent quatre-vingt-quatre naufragés sur six cent trente-huit furent sauvés de la sorte.

La terre était proche : quelques kilomètres seulement séparaient du rivage les malheureux restés sur le navire en perdition… Ils espéraient sans doute que les canots, après avoir débarqué leur premier chargement, reviendraient assez à temps pour les secourir, qu’on leur adjoindrait peut-être même des canots du port.

Mais par l’ouverture que le bateau à vapeur portait au flanc, la mer entrait en défiant toute résistance.

Pas un mot, pas un murmure ne s’était fait entendre parmi les soldats, tandis que s’opérait le sauvetage des femmes et des enfants. Leur commandant, le major Seton, les fit ranger en bataille et prononça quelques paroles de suprême consolation ; de son côté, le capitaine du Birkenhead exhortait ses hommes à la résignation.

Le moment vint où chacun comprit que les secours arriveraient trop tard…

Le capitaine s’établit sur la dunette avec son état-major, attendant l’instant fatal ; et lorsque les tressaillements du navire et l’affreux craquement qui se produisait dans sa charpente, annoncèrent qu’il fallait renoncer à tout espoir, au commandement donné d’une voix ferme, les soldats présentèrent les armes et le Birkenhead s’abîma dans les flots. Il est impossible d’imaginer quelque chose de plus sublime.

Mais à côté de ce stoïcisme devant le péril, de ces déploiements d’énergie cités plus haut, de ces renoncements, de ces admirables exemples d’abnégation et de dévouement, il se produit de coupables défaillances. Trop de fois, l’honneur d’un capitaine fait naufrage avant le navire qui va aux abîmes. Tous ne font pas strictement leur devoir. Il en est qui dans des situations désespérées se montrent avant tout pressés