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LES AVENTURIERS DE LA MER

à distribuer entre les soixante-sept survivants. Il fallut se mettre à demi-ration.

Dans cette journée déjà, les premiers actes de cannibalisme se produisirent. Quelques hommes se jetèrent sur les cadavres dont le radeau était encombré et dévorèrent des lambeaux de chair. Quelques-uns eurent assez de courage pour s’abstenir de cette nourriture et on leur accorda une plus grande quantité de vin. La nuit fut plus calme, et cependant au lever du quatrième jour on compta douze nouveaux morts. On n’en réserva qu’un seul pour nourrir les naufragés.

Dans l’après-midi, il y eut heureusement un passage de poissons volants, dont plus de deux cents s’engagèrent entre les vides laissés par les pièces de bois. À l’aide d’un briquet et d’un peu d’amadou, on parvint à allumer les débris d’un tonneau et à former un foyer qui servit à cuire les poissons ; on les mangea avec avidité. On joignit aussi à ce repas quelques morceaux de cette chair humaine dont la cuisson dissimulait l’origine.

La nuit aurait été supportable si, à la faveur de l’obscurité, une nouvelle révolte n’eût surgi. Des Espagnols, des Italiens et des nègres, restés neutres jusqu’alors, formèrent le complot de jeter à la mer tous leurs compagnons. Il fallut repousser leur attaque par la force. Le lendemain matin, trente individus restaient encore vivants, et parmi eux des blessés en grand nombre.

Laissons la parole aux naufragés : eux seuls peuvent atténuer l’horreur des scènes qu’il reste encore à raconter :

« Le jour nous éclaira pour la sixième fois. À l’heure du repas, je comptai notre monde : nous n’étions plus que trente. Nous avions perdu cinq de nos fidèles marins ; ceux qui survivaient étaient dans l’état le plus déplorable, de sorte que vingt tout au plus d’entre nous étaient capables de se tenir debout et de marcher. Nous n’avions plus de vin que pour quatre jours, et il nous restait à peine une douzaine de poissons. « Dans quatre jours, disions-nous, nous manquerons de tout, et la mort sera inévitable ! » Il y avait sept jours que nous étions abandonnés : nous calculions que, dans le cas où les chaloupes n’auraient pas échoué à la côte, il leur fallait au moins trois à quatre jours pour se rendre à Saint-Louis ; il fallait ensuite le temps d’expédier les navires, et à ces navires celui de nous trouver. Il fut résolu que l’on tiendrait le plus longtemps possible. Dans le courant de la journée, des militaires s’étaient glissés derrière la seule barrique de vin qui nous