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Page:Améro - Les aventuriers de la mer.pdf/143

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LES AVENTURIERS DE LA MER


« Après cette catastrophe, nous jetâmes toutes les armes à la mer ; elles nous inspiraient une horreur dont nous n’étions pas maîtres. Nous avions à peine de quoi passer cinq journées sur le radeau ; ce furent les plus cruelles. Les caractères étaient aigris ; jusque dans le sommeil ; nous nous représentions les membres déchirés de nos malheureux compagnons, et nous invoquions la mort à grands cris. Une soif ardente, redoublée par les rayons d’un soleil brûlant, nous dévorait.

« Un événement vint apporter une heureuse distraction à la profonde horreur dont nous étions saisis. Tout à coup un papillon blanc du genre de ceux qui sont si communs en France, apparut voltigeant au-dessus de nos têtes, et se reposa sur notre voile. La première idée qui fut comme inspirée à chacun de nous, nous fit regarder ce petit animal comme l’avant-courrier qui nous apportait la nouvelle d’un prochain atterrage ; et nous nous embrassâmes d’espérance avec une sorte de délire. Mais c’était le neuvième jour que nous passions sur notre radeau ; les tourments de la faim déchiraient nos entrailles ; déjà des soldats et des matelots dévoraient d’un œil hagard cette chétive proie et semblaient près de se la disputer. D’autres, regardant ce papillon comme un envoyé du ciel, déclarèrent qu’ils prenaient le pauvre insecte sous leur protection et empêchèrent qu’il ne lui fût fait du mal. Nous portâmes donc nos vœux et nos regards vers cette terre désirée que nous croyions à chaque instant voir s’élever devant nous. Il est certain que nous ne devions pas en être éloignés ; car les papillons continuèrent les jours suivants à venir voltiger autour de notre voile, et le même jour nous en eûmes un autre indice non moins positif en apercevant un goéland qui volait au-dessus de notre radeau.

« Trois jours se passèrent encore dans des angoisses inexprimables ; nous méprisions tellement la vie, que plusieurs d’entre nous ne craignirent pas de se baigner à la vue des requins qui entouraient notre radeau.

« Le 17 juillet au matin, le capitaine Dupont, jetant des regards sur l’horizon, aperçut un navire, et nous l’annonça par un cri de joie ; nous reconnûmes que c’était un brick, mais il était à une très grande distance : nous ne pouvions distinguer que les extrémités de ses mâts. La vue de ce bâtiment répandit parmi nous une joie difficile à dépeindre. Cependant des craintes vinrent se mêler à nos espérances ; nous commencions à nous apercevoir que, notre radeau ayant fort peu d’élévation au-dessus de l’eau, il était impossible de le distinguer d’aussi loin.