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LES AVENTURIERS DE LA MER


Au rapport de W. Cullen Bryant, l’auteur de l’Amérique du Nord pittoresque, ces scènes honteuses se continuent encore sur les rivages du Labrador, et l’on ne comprend pas qu’à la fin du xixe siècle il existe encore des gens assez inhumains pour spéculer sur le malheur de leurs semblables. Les hommes qui vivent sur ces plages inhospitalières, sont, il faut le dire, le rebut de la société de l’ancien et du nouveau monde. Bon nombre de convicts ont fait élection de domicile dans ce coin du globe, loin des yeux vigilants de la police anglaise.

Il y a quelques années, un navire norvégien de deux mille tonneaux, l’Oli-Sell, avait quitté la baie de New-York, pour se rendre dans les eaux du Groenland et s’y livrer à la pêche de la baleine. Après avoir franchi le détroit qui sépare l’île de Terre-Neuve de la côte du Labrador, le navire baleinier se trouvait en plein océan, dans le voisinage du cap Charles. Le 13 novembre, le temps était devenu menaçant. La houle de l’ouest et les courants portaient à la côte, et le capitaine Adonto était d’avis que, si l’on ne parvenait pas à s’élever au vent, on courait grand risque d’être porté sur les bas-fonds du Labrador. L’Oli-Sell se trouvait alors par le travers du dehors de Belle-Île, et il s’agissait de doubler à tout prix la pointe du cap Charles, opération très difficile par une mer énorme et avec un bâtiment tout à fait dégréé. L’équipage était à bout de forces et il ne fallait plus compter que sur quelques hommes plus dévoués et plus audacieux que les marins ordinaires, six prisonniers qui s’étaient révoltés contre le capitaine Adonto et avaient été mis aux fers. Une voie d’eau s’était déclarée qui avait été « aveuglée », puis s’était rouverte, et la manœuvre exigeait les bras disponibles de tout l’équipage. Le capitaine regretta amèrement alors d’avoir sévi contre ces hommes, mais il ne songea même pas à les employer.

Le lendemain vers le soir, il devint évident que le navire allait être jeté sur les rochers de la pointe du cap Charles, qui passe, avec juste raison, pour un des endroits les plus dangereux de la côte. On apercevait déjà, à travers la brume, les vagues surmontées d’écume blanche qui entourent comme d’un linceul les roches noires du cap Charles. À ce moment, les marins de l’Oli-Sell virent courir sur les rochers des lumières… Dans des parages plus civilisés, on aurait pu attendre des secours, mais le capitaine Adonto éprouvait les plus grandes appréhensions au sujet des habitants de cette plage inhospitalière.

Il ne se trompait pas. Le désir du pillage avait amené sur la côte du