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LES AVENTURIERS DE LA MER


Labrador tous les misérables d’un villagev oisin, qui se tenaient embusqués au milieu des rochers, prêts à se jeter sur le navire que la mer allait briser et mettre à leur merci. La tempête leur amenait un butin assuré et ils cherchaient à hâter la catastrophe en promenant sur la falaise des lanternes, afin de laisser croire au navire suédois qu’il y avait entre lui et le rivage un autre vaisseau, c’est-à-dire une mer libre où il était possible de manœuvrer.

Le piège tendu ne pouvait ajouter au péril de la situation. Le baleinier ne gouvernait plus et arrivait fatalement sur la triple ceinture d’écueils qui défend la côte canadienne. Sa perte n’était qu’une question de temps. Dans l’entrepont, les six matelots mis aux fers cherchaient à enfoncer la porte de leur cachot.

Un choc épouvantable ébranla tout à coup l’Oli-Sell, qui venait de talonner et qui se coucha sur le flanc à bâbord. Il était évident qu’avant une heure la mer l’aurait complètement démoli.

Tandis que ceci se passait à bord du baleinier, des hommes vêtus d’une manière sordide couraient comme des démons sur la grève. Des femmes déguenillées, portant des falots, se ruaient vers la mer : on eût dit quelque sabbat mené par des sorciers.

Le premier marin que le ressac jeta sur la côte était un solide gaillard, mais il arriva évanoui. Il fut rappelé à lui par des ongles crochus qui s’enfonçaient dans ses chairs ; des mains avides cherchaient à arracher les lambeaux de vêtements qui le couvraient. Les naufrageurs croyaient dépouiller un cadavre ; mais quand le marin jeta un cri, les oiseaux de proie s’enfuirent ; bientôt ils revinrent à la charge menaçants, le bâton levé, le couteau prêt à frapper.

Ce brave marin était disposé à se défendre, mais on lui enjoignit de s’éloigner, et, d’un rocher, il assista au hideux spectacle de ces forcenés, arrachant les vêtements et dépouillant de tout ce qu’ils avaient sur eux les cadavres que la mer rejetait sur le sable. De tout l’équipage, personne ne paraissait avoir échappé à la catastrophe, et quand le jour se fit — brumeux et terne — la lumière n’éclaira qu’une scène de désolation.

Cette troupe de misérables s’était accrue de quelques horribles mégères, qui avaient amené par le licou des chevaux maigres et malpropres, à longs poils. Le butin fut empilé dans de vastes paniers.

Au moment où les naufrageurs se mettaient en route, un homme essoufflé vint leur annoncer qu’un détachement de troupes à cheval