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Page:Améro - Les aventuriers de la mer.pdf/218

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LES AVENTURIERS DE LA MER


recherche, manifesta une opposition très vive contre cette imprudente concession. Ses camarades, irrités sans doute des menaces contenues dans ses paroles, passèrent outre, et lui retirèrent la garde du capitaine Bligh, auprès de qui il fut remplacé par Adams.

Cependant la chaloupe avait été mise à la mer, et les deux midshipmen demeurés fidèles à leur commandant reçurent l’ordre de s’y embarquer, on leur donna une petite pièce d’eau, cent cinquante livres de pain, — certaines relations disent de biscuit, — environ trente livres de porc, six litres de rhum et six bouteilles de vin, un octant, un compas, quelques lignes de pêche, des cordes, du fil à voile, de la toile et divers objets qui pouvaient leur être utiles dans une position aussi désespérée.

On fit descendre ensuite le capitaine dans la chaloupe. Le malheureux Bligh ayant réclamé quelques mousquets pour se défendre en cas de besoin, on les lui refusa en lui riant au nez ; mais on donna plusieurs sabres ou coutelas aux marins qui l’accompagnaient. La chaloupe dut pousser au large tandis que les rebelles, sous l’empire d’une immense joie, criaient en manière de défi :

— Et maintenant à Taïti ! à Taïti, les garçons ! Hourra pour Taïti !

Dans la chaloupe abandonnée à la mer, dix-neuf personnes avaient pris place : le commandant, le maître, le chirurgien, le second maître, le botaniste, trois officiers brevetés, l’agent comptable et huit matelots ; sur la Bounty demeurait la plus grande partie de l’équipage : Fletcher Christian garda le commandement. Les aspirants de marine Haywood, Young, Stewart, le capitaine d’armes, l’armurier et le charpentier, avaient été retenus de force à bord du sloop, où l’on pouvait avoir besoin de leurs services. Au dernier moment, Isaac Martin avait voulu partir sur la chaloupe, mais il en avait été empêché par Quinttal.

En comptant combien d’officiers et de matelots de la Bounty restaient fidèles à leur commandant, on pourrait s’étonner du succès de la conspiration, si l’on oubliait que Fletcher Christian avait très habilement choisi ses complices.

Alors s’accomplit le plus étonnant de tous les voyages, sur une embarcation non pontée, de vingt-deux pieds de long, qui tint la mer pendant quarante-huit jours avec le peu de vivres que l’on sait et accomplit une traversée de 1,300 lieues, ayant à éviter les archipels océaniens dont les sauvages les eussent massacrés, et de même les anthropophages du détroit de Torrès. Un seul homme périt dès les premiers jours de navigation, lorsque l’embarcation conduite par Bligh ayant