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Page:Améro - Les aventuriers de la mer.pdf/225

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LES AVENTURIERS DE LA MER

descendre dans la baleinière ; cette relation mensongère devait être rédigée par Carbuccia et signée par tous les gens du bord.

En conséquence, le naufrage fut mis à exécution.

Le matelot charpentier Antoine Tessier, aidé de plusieurs autres, ouvrit à coups de hache une large voie d’eau ; la chaloupe et le grand canot reçurent l’équipage. Le mousse continuait de pleurer ; au lieu de le laisser à bord, on l’emmena dans la chaloupe :

— Je m’en charge ! dit Hoëlic.

Lorsque le compromis eut été mis sur le papier, le Corse Carbuccia refusa la plume au mousse :

— Tu n’as pas besoin de signer, toi, lui dit-il, ton affaire est claire.

En effet, le malheureux enfant dont on craignait les révélations ne tarda point à être poussé à la mer. — Comme le second, comme le capitaine, il nagea. Il nageait en demandant grâce ; mais les gens de la chaloupe crièrent à ceux du canot :

— S’il vous accoste, faites-le déborder à coups d’aviron !

— Ma mère ! Mon Dieu ! disait le petit Dupré.

Son cri de détresse fut tel que certains des plus farouches se bouchèrent les oreilles en détournant les yeux.

Ce troisième crime une fois consommé, les répétitions des rôles commencèrent. Chacun était successivement interrogé, chacun devait répondre au thème convenu. Malheur à celui qui manquait de mémoire. Avec les plus exécrables serments, on s’engageait à assassiner quiconque ne soutiendrait pas en toute occasion ce qui était écrit.

Lénard, patron de la chaloupe, et le Corse Carbuccia faisaient réciter la sinistre leçon. Les deux embarcations communiquaient ensemble en se jetant les demandes et les réponses.

Hoëlic, patron du canot, Thépaut, le plus hideux de la troupe, Marnier et Daoulas écoutaient et surveillaient avec une attention jalouse. Il y allait de la vie pour quiconque se fût trompé. Le passager Orsini, le matelot mulâtre Charles Pierre, dit Pierri ; le charpentier Tessier, les novices Leclerc et Chicot n’eurent garde d’être distraits. L’unanimité des futures dépositions se fabriquait ainsi de par la corde, le couteau et la noyade.

Et ce fut au point que la fable impie eut un plein succès par trois fois : d’abord sur le navire danois qui recueillit comme naufragés les assassins, frais, dispos, bien portants, n’ayant souffert ni du mauvais temps, ni de la disette : puis à bord du vapeur de la marine impériale le Monge,