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Page:Améro - Les aventuriers de la mer.pdf/224

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LES AVENTURIERS DE LA MER

geait dans le sillage sans espérer qu’on viendrait à son secours. Il avait trop vu que ces cruels assassins étaient les maîtres ; il entendait Lénard, son homme de confiance, qui, d’un ton d’autorité, disait encore :

— À l’eau ! Laissez-le aller !

Alors, enflant la voix, il leur cria :

— Vous aurez tous le cou coupé !

Juste menace qui ne se réalisa que pour quatre des assassins ; — encore leur crime faillit-il rester impuni.

L’un d’eux, le cuisinier Nutler, devait se faire justice lui-même et se noyer après les orgies qui suivirent le meurtre. Un second s’évada. Un troisième mourut en prison.

Les vins capiteux, le vermout, l’eau-de-vie, l’absinthe continuaient leurs effets. Ivres d’alcool et de sang, les scélérats se menaçaient les uns les autres. C’était l’arche de la discorde et de la terreur que ce trois-mâts maudit qui portait le nom dérisoire d’Arche d’Alliance.

Les novices Pierre Leclerc et Julien Chicot tremblaient en obéissant aux bandits. L’unique passager du trois-mâts, nommé Orsini, semblait approuver. Le mousse Dupré, pauvre enfant de douze ans, pleurait.

L’horreur de la situation allait croissant.

Plus de chefs, plus de service, plus de manœuvre. La fatale barque flottait à l’aventure, les voiles n’étaient plus orientées ; pendantes, masquées, en ralingue, elles restaient à l’abandon comme celles d’un navire désert.

— Si nous sommes rencontrés, notre voiture nous dénoncera, pensaient les marins, se réveillant après avoir cuvé leurs liqueurs fortes. Orienter, gouverner, faire route, à quoi bon ? Où aller ?

Après avoir bu à satiété, les plus enragés commençaient à avoir peur. Les malédictions du second, la menace du capitaine mourant les obsédaient. Lénard fut consulté. Il avait déjà son projet, que ses complices approuvèrent.

On coulerait le navire et l’on s’embarquerait dans la chaloupe et le grand canot bien approvisionnés, de manière à atteindre les terres les plus voisines, si toutefois l’on n’était pas recueilli en mer par quelque bâtiment. Une fable que chacun apprendrait par cœur, serait minutieusement combinée. Entre autres détails, le capitaine, le second, le cuisinier — et le mousse Dupré, dont la mort était déjà décidée,— seraient censés avoir péri engloutis avec le trois-mâts au moment où ils allaient