Aller au contenu

Page:Améro - Les aventuriers de la mer.pdf/243

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
240
LES AVENTURIERS DE LA MER


refusa de le reprendre à son bord. Le sort aveugle ne faisait pas la plus mauvaise part au marin écossais : quelques mois plus tard, le Cinque-Ports périssait, et avec lui une partie de son équipage.

Au moment où il quitta le vaisseau, Selkirk put emporter son hamac, quelques habits, un fusil, une livre de poudre et des balles, une hache, un couteau, un chaudron, du tabac, une Bible et les instruments de marine qui lui appartenaient.

Quand il vit s’éloigner ce vaisseau, où il avait eu sa place, et qu’il sentit toute l’horreur de son abandon, il tomba dans un profond désespoir. Les premiers mois furent bien tristes à passer. En se voyant seul, il reportait douloureusement sa pensée vers les biens dont l’avait privé sa funeste passion pour les voyages, sa folie à courir les aventures, quand il eût pu vivre si tranquillement au foyer paternel.

Enfin, l’obligation de pourvoir à ses besoins lui créa une puissante diversion. Il lui fallait s’ingénier, trouver des expédients, pour se nourrir, se loger, se vêtir, sur une île déserte.

Il se décida à se construire un abri avec quelques morceaux de bois et des peaux d’animaux. L’île de Juan-Fernandez était remplie de chèvres et de chats. Tant qu’il eut de la poudre, il tua des chèvres, et fournit sans trop de peine à sa subsistance : mais cette ressource lui manqua bientôt ; la pêche des crabes et des congres, quelques baies sauvages y suppléaient insuffisamment. Il tendit des pièges aux jeunes chevreaux, mais sans beaucoup de succès ; il se vit alors contraint de prendre les chèvres à la course ; la chair et la peau de ces animaux lui étaient également indispensables.

C’était un exercice nouveau pour un marin et demandant de l’agilité. À peine couvert de quelques peaux grossièrement cousues, bras nus et jambes nues, il engageait des courses folles à la poursuite de bêtes qui sautent de rocher en rocher, s’élancent sur les parois les plus escarpées, sur les arêtes tranchantes ou les pics aigus ; avec elles il franchissait les torrents et bondissait par-dessus les buissons sans se ménager, on peut le croire, n’ayant d’autre moyen que de fatiguer la proie convoitée, jusqu’à ce qu’elle se rendît haletante et épuisée.

Ces expéditions n’étaient pas toujours exemptes de dangers. Un jour, au moment où il venait de saisir une chèvre, il tomba avec elle au fond d’un précipice, et y demeura longtemps privé de connaissance. Quand il reprit ses sens, il trouva la chèvre morte sous lui : il ne devait son salut qu’à la façon dont ce corps avait amorti sa chute. Le croira-t-on ?