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LES AVENTURIERS DE LA MER


lieues à franchir dans la neige et douze lieues de mer à traverser, cet avis fut adopté.

On s’embarque, le 27 novembre, treize dans un canot et dix-sept dans une chaloupe. La mer, avec ses glaçons flottants, était difficile à tenir. Après cinq jours de lutte et de souffrances, le canot disparut ; on ne le revit plus. Un matin, la chaloupe fut entourée de glace, soudée à la banquise. Il fallut renoncer à pousser plus loin, attendre le printemps…

Les matelots ébauchent quelques huttes et s’y blottissent. Il ne reste plus qu’un peu de viande gelée, quelques livres de pois et un peu de farine que l’on délaie avec de la neige fondue. Crespel rationne avec une parcimonie extrême cette misérable nourriture.

Au commencement de janvier, une nouvelle catastrophe vient accabler les malheureux survivants. Des pluies torrentielles amènent un adoucissement de la température. Les glaces ne résistent pas à une tempête sous-marine. Dans ce désordre des éléments, la chaloupe est emportée, anéantie.

La mort frappait à coups redoublés au milieu des pauvres gens. En un seul jour trois hommes succombent. Ceux qui survivaient étaient dans le plus affreux état. Ils avaient les jambes gelées et gangrenées ; épuisés par la faiblesse et les privations, leurs corps se couvraient de plaies hideuses. L’ancien missionnaire résistait le plus vaillamment.

Un jour, on aperçoit un indigène ; mais cet homme, effrayé sans doute à la vue de ces gens lamentables à voir, se dérobe par la fuite. Quelques semaines plus tard, Crespel et deux marins, guidés par un autre sauvage, furent plus heureux ; ils parvinrent jusqu’à un campement d’indigènes d’où, après deux jours de repos, ils purent s’acheminer vers Mingan, station qu’ils savaient occupée par des chasseurs français.

Ils y arrivent enfin ; on leur donne du secours. Une chaloupe part à la recherche des vingt-quatre hommes demeurés en arrière : ces malheureux avaient été réduits à manger le cuir de leurs souliers ; quatre seulement vivaient encore, et l’un d’eux mourut après avoir bu le verre d’eau-de-vie que lui offraient ses libérateurs. Les six malheureux échappés à tant de misère restèrent uelques semaines à Mingan, et de là furent transportés à Québec. Le P. Crespel rentra ensuite en France.

La flûte l’Utile, capitaine de la Fargue, en se rendant de Madagascar, où elle avait pris un chargement d’esclaves, à l’île de France, fit naufrage le 31 juillet 1761. Un officier, dix-sept matelots et un noir se noyèrent ;