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LES AVENTURIERS DE LA MER


où Takouri commandait. Les naturels qui se montraient étaient armés de haches, de sabres et de fusils, dépouilles de nos marins égorgés.

Le capitaine Crozet se trouvait au poste lorsque le détachement arriva baïonnette au bout du fusil. Ce déploiement de forces lui fit pressentir un malheur. Il s’approcha seul, et fut informé, par l’officier qui conduisait la vaillante petite troupe, des événements tragiques survenus la veille. Alors il défendit aux marins du détachement de communiquer à leurs camarades les tristes nouvelles, et il fit cesser les travaux, rassembler les outils et les armes, puis il ordonna de faire un trou où l’on enfouit ce qu’on ne pouvait emporter. On mit le feu à la baraque du poste pour cacher sous les cendres les traces de la fosse.

En gardant le silence sur le massacre, le capitaine agissait avec prudence. Les hommes avaient besoin de tout leur sang-froid pour se défendre s’il en était besoin ; Crozet se voyait entouré de tous côtés, par les naturels, qui se rassemblaient par troupes sur les hauteurs environnantes…

Enfin la petite troupe de soixante hommes, bien armés, se mit en marche, Crozet formant l’arrière-garde, et traversant de nombreux groupes de sauvages. Quelques chefs, en les voyant passer, leur criaient comme une menace du sort qui les attendait : Takouri maté Marion, « Takouri a tué Marion. »

Deux lieues se firent ainsi jusqu’au bord de la mer où les chaloupes attendaient ; les Maoris marchaient toujours sur les flancs de la colonne, de plus en plus hardis et menaçants, ne cessant de répéter que Marion avait été tué et mangé.

Quelques marins, ayant fini par comprendre que leur commandant était tombé victime d’une trahison, voulaient combattre et tirer une vengeance immédiate, et ce ne fut qu’à grand’peine que Crozet parvint à les maintenir, sachant très bien que le premier coup de feu donnerait le signal d’un massacre général : jamais alors aucun des hommes des deux vaisseaux n’eût rapporté la nouvelle de la mort de ses compagnons. D’ailleurs, il fallait songer au troisième poste, — celui des malades, — à mettre en sûreté.

Cependant, comme nos marins arrivaient à la chaloupe, les sauvages les serrèrent de plus près ; Crozet donna l’ordre aux matelots chargés d’outils de s’embarquer les premiers ; puis plantant un piquet à terre à dix pas de lui et s’adressant au chef, il lui dit :

— Si un seul des tiens dépasse ce piquet, je le tue avec ma carabine.