Aller au contenu

Page:Améro - Les aventuriers de la mer.pdf/300

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
297
LES AVENTURIERS DE LA MER


qu’il fut possible pour atteindre la côte ; mais nous rencontrions l’eau à chaque instant, et parfois des espaces vides de glaces avaient une largeur de plus de cent cinquante brasses. Nous les franchissions tantôt avec la ligne de sonde, comme il a été dit, et deux à deux, tantôt serrés tous ensemble sur un glaçon, nous étendions nos « malitza » déployées et nous voguions à la volonté de Dieu.

« Vers quatre heures, nous nous trouvions ainsi sur un glaçon, lorsqu’à quatre mètres de notre île flottante six morses parurent sur l’eau, se dirigeant sur nous. Je lançai un coup de pique au plus rapproché ; mais, loin de reculer, le morse planta ses défenses dans la glace et commença à escalader notre îlot déjà surchargé. La position devenait critique : si deux ou trois morses nous eussent assaillis à la fois, notre refuge eût certainement chaviré ; j’armai ma carabine et je réussis à loger une balle dans l’œil de l’audacieux amphibie ; le morse lâcha prise et tomba dans l’eau, ce que voyant, les autres morses firent le plongeon. »

Les difficultés pour atteindre la côte se renouvelaient à chaque pas : toujours des bras de mer à traverser avec une peine infinie. Les hommes se décourageaient, s’épuisaient de fatigue ; les vivres allaient manquer, et la côte semblait s’éloigner, tant l’on avançait peu. Cela dura plusieurs jours, avec du vent, un froid intense, puis une pluie violente mêlée de neige ; et les forces diminuaient et les obstacles semblaient s’accroître.

Enfin, à la dernière heure, et comme on ne se trouvait plus qu’à une courte distance de terre, il y eut une sorte de « sauve-qui-peut ». On se débanda, et par groupes de deux ou trois, on réussit à accomplir le dernier trajet, moitié dans l’eau, moitié sur les glaçons éparpillés et roulants. À huit heures du soir, la petite troupe tout entière se trouvait réunie sur le rivage, mouillée, affamée, sans rien pour faire du feu ; mais chacun se « trouvait déjà réchauffé par la certitude de n’avoir plus à craindre d’être emporté au large ». La nuit passée en cet état ne permit à personne de trouver le sommeil. Mais le lendemain on découvrit les tentes des Karachins nomades, possesseurs de rennes. L’équipage du Yermac pouvait considérer comme terminée son aventureuse marche sur une mer incomplètement solidifiée par le froid ; le lieutenant Krusenstern avait réussi à ramener ses compagnons.

La Hansa, bâtiment à voiles de douze hommes d’équipage, commandé par le capitaine Hagemann, et qui faisait partie de l’expédition allemande de 1869, dirigée entre le Groënland et le Spitzberg, se trouva