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Page:Améro - Les aventuriers de la mer.pdf/313

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LES AVENTURIERS DE LA MER


« — Oh ! par pitié ! ne me tuez pas et ne me mangez pas, comme vous avez tué et mangé Henry ! »

La lettre de New-York ajoutait que les survivants de la mission rapatriés allaient de mieux en mieux. Ces malheureux, qui fussent morts dans les quarante-huit heures, sans l’arrivée du commandant Schley et de son escadre, « peuvent se vanter de revenir doublement de loin. Greeley surtout est méconnaissable. Parti grand et bel homme et jeune encore, il est rentré dans sa patrie courbé comme un vieillard, la barbe inculte et broussailleuse, la face bouffie et crevassée par le froid, le front sillonné de rides profondes, et à moitié aveugle. Son corps n’était plus qu’un squelette. Sa rencontre avec sa jeune et belle femme, dans l’après-midi du 1er août, à bord de la Thétis, a tiré des larmes de tous les yeux. Presque chancelante, Mme Greeley — qui depuis six mois était en grand deuil — parvint à la porte de la cabine, tremblant comme une enfant. Au moment où elle y pénétrait, le commandant Schley, qui se trouvait avec Greeley, sortit précipitamment. Le lieutenant, alors assis le dos tourné à la porte d’entrée, se retourna pour le suivre du regard, et dans ce mouvement vit sa femme qui entrait. Il poussa un cri qui s’éteignit dans un sanglot, et il bondit de sa chaise autant que sa faiblesse pouvait lui permettre de bondir, malgré un mois et demi de repos et de bons soins. Mme Greeley, éperdue, s’élança au-devant de son mari et le saisit dans ses bras, en s’écriant au milieu d’un flot de larmes :

« — Arthur ! Arthur ! retrouvé !… At home again… Au foyer de nouveau ! »

« Puis, ce fut la vieille mère de Greeley qui entra après qu’on eut préparé le lieutenant à cette nouvelle émotion ; et la pauvre femme ne put que s’exclamer, en le serrant sur son cœur :

« — My son ! my poor boy ! Mon fils ! mon pauvre garçon ! » Ce fut ensuite le tour des frères de Greeley, des frères de sa femme, du secrétaire de la marine, l’honorable Chandler, qui l’embrassa affectueusement à plusieurs reprises, — comme il fit, du reste, plus tard pour les cinq autres survivants, un sergent et de simples matelots ; — et enfin, il fut permis à Greeley brisé de joie, d’embrasser ses deux filles, l’une âgée de cinq ans, l’autre âgée de trois ans, et qui n’avait que deux, semaines quand le vaillant explorateur quitta tout joyeux San-Francisco en 1881, pour se rendre au cap Sabine, dans le détroit de Smith. »

Cette fin désastreuse de la mission Greeley a été mal connue chez