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Page:Améro - Les aventuriers de la mer.pdf/316

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LES AVENTURIERS DE LA MER


dur de laisser périr quatre personnes, quand une seule peut sauver les trois autres.

« Les choses empiraient : le vingtième jour, le mousse gisait au fond du bateau, respirant difficilement, à moitié mort. Vers trois heures du matin je dis au maître :

« — Qu’allons-nous faire ? Je crois que le mousse va mourir. Vous avez une femme et cinq enfants, j’ai une femme et trois enfants, et on a mangé de la chair humaine avant nous. »

« Stephens me répondit :

« — Voyons d’abord ce que le jour amènera. »

« Vers six heures du matin, nous tînmes conseil. Brooks et Stephens déclarèrent qu’ils ne pouvaient se résoudre au meurtre. J’envoyai Brooks à l’avant, et m’étant levé, j’examinai l’horizon ; je n’aperçus rien. Dans une prière fervente je priai Dieu de me pardonner ; je m’agenouillai près du mousse et je lui plongeai le canif dans la gorge. La mort fut instantanée. »

Pour expliquer sa résolution, le capitaine Dudley affirme que Packer était déjà agonisant et ne pouvait plus vivre lorsqu’il le tua. Or, la soif était le supplice le plus épouvantable dont souffrait l’équipage. Packer mourant naturellement, cette soif des trois survivants n’aurait pu être apaisée, le sang n’aurait pas coulé ; Packer ayant été égorgé, ces trois hommes purent s’abreuver en buvant tour à tour à la plaie saignante du pauvre mousse, dont le corps servit de nourriture pendant quatre jours.

Lorsque la chaloupe dans laquelle se trouvaient les naufragés fut rencontrée par le Montézuma, la moitié du cadavre avait été dévorée ; cependant les trois hommes étaient si faibles qu’ils ne purent monter à bord du navire ; on hissa sur le pont le canot et son contenu, dont faisait partie le corps à moitié dépecé du pauvre mousse.

Le capitaine Tom Dudley, le maître Edwin Stephens et le matelot Edward Brooks eurent à rendre compte devant la justice de leur pays du meurtre du jeune Packer. Ils comparurent devant les assises du Devonshire en novembre 1884. Le verdict, ou plutôt l’absence de verdict, révéla au public une ressource de procédure pénale qu’il était loin de soupçonner. Le jury ne reconnut pas de circonstances atténuantes, pour la simple raison que c’est chose inconnue à la jurisprudence anglaise. Sur l’indication du juge, il déclara l’accusation prouvée, quant aux faits, mais en se reconnaissant incapable de spécifier quelle était