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LES AVENTURIERS DE LA MER


de faits nouveaux ; mais il y a des catastrophes tellement terribles et lamentables qu’elles s’imposent à la mémoire des marins du monde entier. On le comprend bien : ce n’est pas l’horreur du drame qui frappe les imaginations, c’est le nombre des victimes. Quant à la perte matérielle, quelle que soit son importance, on n’en parle que pour mémoire, et les gens du métier, les ingénieurs, les constructeurs notent certains détails qu’il peut être utile de ne pas oublier pour l’avenir et le perfectionnement de la construction maritime.

La tempête ! c’est-à-dire l’inconnu, — une nouvelle lutte pour le marin, un nouveau triomphe peut-être, mais peut-être aussi le dernier combat qu’il livre à l’élément redoutable ; peut-être la fin de sa course sur les mers, la fin aussi du vaisseau qu’il monte. Faut-il s’attacher aux signes précurseurs comme à un pronostic ? Beaucoup de confiance est nécessaire, un peu d’insouciance même ne messied pas à celui qui n’a qu’à obéir. C’est assez que celui qui commande sente peser sur lui une bien lourde responsabilité ; aussi observe-t-il attentivement. « Voici d’abord, dit La Landelle, des nuages légers et floconneux qui passent : — Laissons courir !

« Mais bientôt une masse noirâtre obscurcit la ligne qui sépare le ciel de la mer, une sombre nuée monte plus ou moins rapidement comme un fantôme : — Attention !

« Glissera-t-elle sur l’avant ou sur l’arrière, ou va-t-elle fondre à bord en sifflant ? Éclatera-t-elle en versant des torrents de pluie, ou n’amènera-t-elle qu’une lourde bouffée ? — l’œil du marin ne s’y trompe point. Si le grain n’est qu’une vaine menace, s’il ne doit produire d’effet qu’à deux ou trois milles on sourit dédaigneusement : — Gouvernez droit, timonier ! il n’y a pas de soin !

« Si l’on juge que le grain frappera dans la mâture, c’est le cas de carguer les perroquets. La brigantine, le grand foc, la grand’ voile seront ensuite les premières voiles à soustraire à l’action du vent. Si le vent fraîchit encore, on amène les huniers. Il est beau de voir un vaisseau diminuant de toile en bon ordre au fur et à mesure que la brise augmente, s’inclinant graduellement sous son effort, traversant fièrement le nuage qui tonne, et puis à peine sorti de la zone tourmentée, rétablissant voilure.

« Un grain est un épisode vulgaire qui ne fait aucune impression sur l’équipage, qu’on se borne à enregistrer sur la table de loch ou journal du bord et qui ne compte pas pour du mauvais temps. »