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LES AVENTURIERS DE LA MER


Autre chose est le coup de vent, le grand frais, la tempête, qui force à mettre à la cape ou à fuir. Le navire semble alors reconnaître la nécessité de redoubler de vitesse. Dès qu’il sent la pression des grandes voiles, il se penche davantage, et s’incline sur le lit d’eau qui s’élevait du côté du vent presque jusqu’à ses dalots. Sur son autre flanc plusieurs pieds de bordages noirs et de sa doublure de cuivre se montrent à découvert. Les vagues vertes qui roulent dans toute sa longueur y dessinent des festons d’une écume brillante. Tandis qu’il lutte ainsi contre les flots, les chocs deviennent à chaque instant plus violents et à chaque rencontre l’eau, en rejaillissant, forme une nappe vaporeuse qui enveloppe, tombe sur le pont, et est enlevée comme un brouillard, bien loin sous le vent. Chaque fois que le navire plonge, sa proue divise une masse d’eau qui de moment en moment devient plus considérable, et dans plus d’une de ces luttes, le bâtiment en s’avançant est presque enseveli dans quelque vague sur laquelle il lui est difficile de s’élever.

La mer s’est gonflée démesurément, le vent a fraîchi davantage, la tempête gronde ; elle éclate ; les lames vont grossissant. Elles obéissent aux courants marins et se dressent parfois contre un vent contraire. À la transparence de l’air ont succédé la poussière saline des embruns qui se suivent de près, et les torrents de pluie.

À bord d’un simple bâtiment de commerce, dont l’équipage n’est jamais nombreux, tout le monde est debout. Il s’agit de carguer toutes les voiles, jusqu’au dernier lambeau, depuis la proue jusqu’à la poupe ! — Du monde aux cargues-points des huniers !… Qu’on mette les huniers sur les cargues ! À l’ouvrage partout ! De l’ardeur, mes amis, à l’ouvrage !

Dans les airs des hurlements, des lames échevelées, des nuages déchirés fuyant en bandes effarouchées, des sifflements sinistres, l’écume salée obscurcissant tout…

Les fonds bas de la mer teignent de leur limon les eaux lourdes et plombées. Au milieu de ce désordre de longs jets d’écume sont lancés en l’air. La nuit va venir, peut-être, doubler l’horreur de la situation.

Fréquemment, en exécutant une manœuvre, des hommes tombent de la mâture, emportés par le vent, souffletés par la rude toile des voiles ; et l’état de la mer ne permet pas de leur porter secours. D’autres se dévoueront à leur tour. Pendant un coup de vent, des chevilles de fer de porte-haubans, indispensables à la solidité de la mâture, jouent et peuvent échapper ; il faut à toute force, afin de les mieux river en dedans, les