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Page:Améro - Les aventuriers de la mer.pdf/57

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LES AVENTURIERS DE LA MER


« La situation est extrême alors, il faut à tout prix remonter le lit du vent ; l’on a d’un côté la tempête furieuse, de l’autre la terre immobile : c’est à la tempête qu’il faut faire face. C’est dans la tempête même qu’il faut se frayer une route, ainsi qu’un corps d’armée dont la retraite est coupée, n’a d’autre ressource que de s’ouvrir un passage à travers les baïonnettes et les canons ennemis.

— À l’ouvrage, matelots ! du courage, garçons ! manœuvrons sans perdre un pouce de chemin ; nous jouons ici à quitte ou double notre navire et notre vie.

« On se charge donc de toile, au risque d’être démâté, roulé en un instant sur les récifs, écrasé contre le mur de granit des falaises, ou englouti par les brisants qui hurlent avec une rage telle que les anciens, en leur donnant les noms de Charybde et Scylla, les comparèrent à des monstres ouvrant mille gueules pour dévorer les navigateurs. On se charge de toile afin de louvoyer, si toutefois c’est possible. Le navire qui remonte le lit du vent entre deux terres rapprochées, est obligé de virer de bord très souvent, et s’il évolue bien, il peut gagner beaucoup par le fait même de cette manœuvre répétée coup sur coup, en décrivant chaque fois une ligne arrondie.

« Mais si la mer est très mauvaise, si, par vice de construction, par défaut de qualités ou par la faute de ceux qui le manœuvrent, le bâtiment vire mal de bord, il perd au lieu de gagner ; parfois encore il manque son évolution, — ce qui, dans les passes étroites, suffit pour occasionner le naufrage à la côte. La vitesse est amortie, le vent pousse le navire à reculons et le jette au plein avant qu’on ait eu le temps de le sauver par une manœuvre nouvelle.

« Les courants, ceux du flux et du reflux entre autres, selon qu’ils sont favorables ou contraires, exercent une influence puissante sur la destinée des navires. Le meilleur des voiliers, par un gros temps, ne parviendra guère à se soutenir contre vent et marée, et un bâtiment médiocre sera toujours entraîné à la côte.

« Et maintenant, qu’un navire soit surpris ou chassé par un gros temps en face d’une terre n’offrant aucun abri, voici venir la lutte acharnée[1] ! »

On se souvient encore, dans-la marine, du naufrage de la corvette à vapeur le Papin, parti de Cadix le 5 décembre 1845 à destination du

  1. La Landelle : la Vie navale.