Aller au contenu

Page:Améro - Les aventuriers de la mer.pdf/63

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
60
LES AVENTURIERS DE LA MER


flots, en proie à la faim, au froid et à toutes les anxiétés de l’attente. Au bout de ce temps ils virent paraître le brick l’Emilia, qui leur apportait des vivres et qui les transporta sur la côte où nous trouvâmes le moyen de retourner dans notre patrie. »

Le 14 novembre 1854, une effroyable tempête qui parcourut la mer Noire, jeta à la côte de Crimée un grand nombre de navires de transports français et anglais : les bâtiments anglais dominaient. Cette tempête coûta la vie à plus de quatre cents marins et fit périr une quinzaine de navires.

Au milieu d’une mer monstrueuse, les rafales de vent amenaient des grains où la grêle se mêlait à la neige. Le vaisseau le Henri IV, la corvette à vapeur le Pluton, et un vaisseau turc portant pavillon de contre-amiral, rompirent leurs chaînes et allèrent échouer dans le sable devant Eupatoria. Pour ces deux navires, il n’y eut pas de perte d’hommes. Mais les transports et les bâtiments de commerce s’abîmèrent, pour la plupart, corps et biens. Ceux qui n’étaient pas portés par les lames à la côte, s’abordaient entre eux, s’entr’ouvraient, s’engloutissaient. Cette affreuse tourmente dura vingt-quatre heures.

Sur le rivage, des bandes de Cosaques venaient assister à ce désastre, et ils se réjouissaient d’avoir les flots et les vents pour auxiliaires. Peut-être même espéraient-ils tirer quelque aubaine de tant de malheurs.

La perte de la Sémillante dans les bouches de Bonifacio eut un bien douloureux retentissement. Aucun survivant à cette épouvantable catastrophe n’en put rapporter les circonstances. On dut y suppléer par la position des épaves retrouvées — corps humains et débris de navire — et par les déclarations assez vagues du chef de phare de la Testa et d’un berger de l’île Lavezzi. Et il y avait à bord de cette frégate, outre son équipage, trois cent quatre-vingt-treize soldats de l’armée d’Orient !

La Sémillante, capitaine Jugan, était partie de Toulon le 14 février 1855 à destination de Crimée. Le temps menaçait, mais il fallait faire hâte. Dans la journée du 15, un ouragan d’une violence telle que les vieux marins du littoral sarde ne se souvenaient pas d’en avoir jamais vu, éclata dans les bouches de Bonifacio, et dura de cinq heures du matin à minuit. Les bouches ne présentaient plus qu’un immense brisant où l’on ne pouvait rien distinguer ; il n’y avait plus ni passes ni rochers ; de nuit comme de jour il était impossible de s’y reconnaître. Un vieux capitaine de vaisseau anglais, retiré à la Madeleine, affirma depuis que