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Page:Améro - Les aventuriers de la mer.pdf/64

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LES AVENTURIERS DE LA MER


dans le cours d’une longue carrière, dans aucun parage, par aucune latitude, il n’avait jamais rien ressenti, rien éprouvé qui approchât de la furie de l’ouragan du 15 février.

Les recherches qui furent faites trois semaines plus tard permirent d’établir que la Sémillante avait dû toucher d’abord sur la pointe sud-ouest de l’île Lavezzi ; c’est là, en effet, que l’on trouva quelques tronçons de ses mâts et de ses vergues brisés, encore à flot et retenus dans cette position par un enchevêtrement de cordages fixés au fond. « Au milieu des tronçons, dit le rapport du commandant de l’Averne, se trouve aussi un morceau de la coque de la frégate, qui paraît provenir de la partie comprise entre les porte-haubans de misaine et la flottaison : il y a là un hublot. »

On se mit à la recherche des cadavres ; on en découvrit peu à peu une soixantaine, la plupart nus ; ces infortunés avaient eu le temps de se déshabiller pour lutter avec plus de chances contre la mort. Le corps du commandant Jugan fut aussi retrouvé, et seul reconnu d’une manière positive, grâce à son uniforme. Il y avait là de tristes devoirs à remplir pour les matelots de l’Averne. « Plusieurs, dit le rapport, ont été tellement impressionnés qu’ils n’ont pas pu continuer ce service : d’autres ne le remplissaient plus qu’en pleurant. » Il fallut prier le commandant de place de Bonifacio de donner comme auxiliaires aux marins de l’Averne un détachement de cinquante hommes.

Sous l’impression du lugubre récit qui lui fut fait par un matelot corse, M. Alphonse Daudet, dans ses Lettres de mon moulin, a essayé de reconstituer les différentes péripéties de l’agonie du malheureux navire.

« Je voyais, dit-il, la frégate partant de Toulon la nuit. Elle sort du port. La mer est mauvaise, le vent terrible ; mais on a pour capitaine un vaillant marin, et tout le monde est tranquille à bord… Le matin, la brume de mer se lève. On commence à être inquiet. Tout l’équipage est en haut. Le capitaine ne quitte pas la dunette… Dans l’entrepont où les soldats sont renfermés, il fait noir ; l’atmosphère est chaude. Quelques-uns sont malades, couchés sur leurs sacs. Le navire tangue horriblement ; impossible de se tenir debout. On cause assis à terre, par groupes, en se cramponnant aux bancs ; il faut crier pour s’entendre. Il y en a qui commencent à avoir peur. Écoutez donc, les naufrages sont fréquents dans ces parages-ci. Tout à coup un craquement… Qu’est-ce que c’est ? Qu’arrive-t-il ?… « Le gouvernail vient de partir », dit un matelot tout mouillé qui traverse l’entrepont en courant.