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Page:Améro - Les aventuriers de la mer.pdf/67

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LES AVENTURIERS DE LA MER


taine, et d’une mort affreuse !… Derrière nous, la mer furieuse ; à droite, la mer encore ! Au bout d’une minute, nous entendons des cris, c’était l’arrière tout entier du navire qui craquait et s’engouffrait tout d’un coup, entraînant avec lui une soixantaine de personnes… puis le silence !

« La nuit était noire, et les vagues d’une phosphorescence telle qu’elles nous retombaient sur le dos comme une pluie de feu ; cela sentait l’éther, la créosote. Jamais je n’avais vu cela. Les lames balayaient le pont avec une rage inouïe, entraînant tous ceux qui ne se cramponnaient pas ; on les entendait venir de loin, et quand elles arrivaient, on baissait la tête et on se serrait les uns contre les autres. Nous en avons reçu de si violentes, que nous craignions que le tambour de l’escalier sur lequel nous nous trouvions ne craquât et ne nous entraînât dans sa chute…

« Les vagues ne nous laissaient plus de repos. L’eau nous coulait dans le dos, nous en avions plein les yeux et la bouche. Quand une lame balayait le pont, on voyait encore se détacher quelqu’un d’un groupe, glisser sur la pente inclinée du pont ; le malheureux criait : « Ô mes amis ! » La vague se retirait en l’emportant, et c’était tout ; d’autres criaient : « Soutenez-moi, je glisse, je suis perdu ! » Un contrôleur voit sa femme enlevée par une lame : elle avait son enfant de dix-huit mois sur les bras ; ne pouvant la retenir, il saute à la mer en disant : « Nous mourrons ensemble ! » Le vicaire, M. Moisset, a coulé près de moi ; je lui ai tendu la main, mais il l’a manquée et il s’est accroché au bas de mon pantalon ; le morceau lui est resté dans la main, et la lame l’a enlevé.

« Vers trois heures du matin, nous essayâmes de quitter notre refuge et de grimper sur le bord non submergé du navire ; mais, pour accomplir ce trajet, il nous fallait franchir un espace de trois ou quatre mètres en montant une pente verticale et glissante comme un savon gras. Impossible de tenter une pareille escalade, d’autant plus qu’il fallait grimper dans l’intervalle de deux vagues. On nous jeta alors une corde que nous nous passâmes autour du corps et les soldats, qui avaient pu réussir à se mettre à cheval sur le bord qui était hors de l’eau, nous montèrent chacun à notre tour. » Les naufragés ne furent secourus que le lendemain.

Le steamer Daniel-Steinmann, allant d’Anvers à New-York, vint se heurter contre un récif, près de l’île de Sambro, à cinq kilomètres