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LES AVENTURIERS DE LA MER


Grant, parti de Melbourne pour Londres avec de nombreux passagers et une précieuse cargaison de laine, de peaux et d’or. Le navire alla à la côte et s’enfonça dans une excavation ayant une longueur d’environ deux cent trente mètres. Les mâts en heurtant la voûte se brisèrent, tandis que de gros quartiers de rocs s’écroulaient sur le gaillard d’avant. Il y eut soixante-huit victimes. Les dix survivants, dont une femme, demeurèrent enfermés dans les rochers d’une île déserte pendant dix-huit mois. Le brick baleinier Amherst les recueillit.

Les bateaux à vapeur ont moins de risques de mer à courir. Il n’est pas rare, malheureusement, qu’ils échouent sur des récifs peu connus. Par une nuit de beau temps, le paquebot à vapeur le Borysthène toucha un récif près d’Oran (15 décembre 1866). Dans une lettre adressée à sa famille, M. Vérette, aide-major, passager à bord et échappé au naufrage, a tracé une émouvante relation des faits. « Je sommeillais vers onze heures, quand j’entendis une voix crier : « Stop, nous sommes dessus, machine en arrière ; vite ! » Puis le bruit sourd de l’hélice cessa de se faire entendre : le bâtiment sembla s’arrêter, on courait sur le pont.

« Allons, allons, dis-je à mon voisin, nous sommes arrivés, nous entrons dans le port, on manœuvre en haut. Tout en disant cela, et comme saisi d’un vague pressentiment, je sautai à bas de mon hamac pour monter sur le pont. Au même instant, un craquement terrible se fait entendre, accompagné de secousses si violentes, que je tombai à terre ; puis j’entends un matelot qui crie : « Mon Dieu ! nous sommes perdus, priez pour nous ! »

« Nous venions de toucher le rocher et le navire s’entr’ouvrait ; l’eau entrait dans la cale, on l’entendait bouillonner. Les soldats, qui couchaient sur le pont, se sauvent pêle-mêle, n’importe où, en poussant des cris affreux ; les passagers, demi-nus, s’élancent hors des cabines ; les pauvres femmes s’accrochaient à tout le monde et suppliaient qu’on les sauvât ; on priait le bon Dieu tout haut, on se disait adieu. Un négociant arme un pistolet et veut se brûler la cervelle ; on lui arrache son arme. Les secousses continuaient ; la cloche du bord sonnait le tocsin, mais le vent mugissait affreusement, la cloche n’était point entendue à cinquante mètres. C’était des cris, des hurlements, des prières ; c’était je ne sais quoi d’affreux, de lugubre, d’épouvantable ; jamais je n’ai vu, jamais je n’ai lu de scène aussi horrible, aussi poignante. Être là, plein de vie, de santé, et en face d’une mort que l’on croit cer-