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LES AVENTURIERS DE LA MER


cinquante-six personnes périssaient ; dans le nombre l’irritable capitaine turc et treize de ses marins.

La perte des navires n’est pas toujours causée par le désordre des éléments. Elle a lieu aussi fortuitement par un fâcheux concours de circonstances que rien ne pouvait faire prévoir ni conjurer.

Le Royal-George, vaisseau anglais de cent huit canons, armé en 1755, bon marcheur, fin voilier, et sur lequel avaient commandé Anson, Boscaven, Rodney, Howe et Hawke, périt dans la baie de Spithead, sur la côte d’Angleterre, par une cause dont l’insignifiance n’aurait jamais pu faire soupçonner le résultat. Cette épouvantable catastrophe dans laquelle neuf cents personnes perdirent la vie, a laissé un souvenir persistant et douloureux chez nos voisins d’outre-Manche.

C’était un bien beau navire que le Royal-George, et ses états de service étaient bien remplis !

Le matin du 28 août, pendant le lavage du pont et des entreponts, le maître charpentier reconnut que le tuyau amenant dans le navire l’eau du nettoyage se trouvait en fort mauvais état, et qu’il était nécessaire de le remplacer par un tuyau neuf. Or, l’orifice de ce tuyau était placé à bâbord, à trois pieds au-dessous de la ligne de flottaison ; il fallut donc pour cette réparation faire pencher le vaisseau sur un côté. Les canons furent éloignés des sabords, et ceux de tribord traînés au milieu du vaisseau, qui montrait ses sabords du rang inférieur ouverts presque au niveau de l’eau. « Vers neuf heures du matin, a écrit un survivant de l’épouvantable sinistre ; nous avions à peine fini de déjeuner, lorsque vint se ranger le long du Royal-George un sloop de cinquante tonneaux, appartenant à trois frères qui s’en servaient pour apporter des vivres à bord du vaisseau de guerre. Ce sloop transborda des barils de rhum, opération qui empêcha de remarquer que le vaisseau penchait au point que les vagues pénétraient par les ouvertures des canons. Des souris s’enfuirent du côté immergé et les matelots s’amusèrent un moment à leur faire la chasse. Mais ce sport improvisé devait être cruellement interrompu.

« Le maître charpentier, s’apercevant enfin que le vaisseau courait un réel danger, vint par deux fois sur le pont demander au lieutenant de garde qu’il ordonnât de le faire redresser. La première fois le maître charpentier fut rembarré ; comme il insistait, il ne reçut que cette réponse : « Si vous êtes plus capable que moi de savoir ce qu’il faut faire, prenez le commandement du vaisseau ! »

Peu après, le lieutenant reconnut enfin lui-même l’imminence du