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Page:Amiel - Grains de mil, 1854.djvu/106

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Le vrai bonheur est le martyre
De tout bonheur frivole et vain ;
Il nous effraie, il nous attire,
Il est terrible, il est divin.

L’oiseau sent frissonner son aile
Sur les bords de l’immensité ;
Le temps, à la fuite éternelle,
Frémit devant l’éternité.

Rien ne veut mourir. Tourmentée
Par l’angoisse de l’infini,
Quand il s’entr’ouvre, épouvantée,
L’âme a tremblé… peur de banni !

Va, ne crains point un maléfice !
Ce qui te fait peur, c’est ton bien.
Dans la flamme du sacrifice
Dieu réside ; enfant, ne crains rien !

Le vrai bonheur est un abîme,
Un héroïsme douloureux ;
Et s’il ne te rend pas sublime,
C’est qu’il ne te rend pas heureux.

Clarens, Novembre 1853.