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toutes les issues, et discerné des détails infinis et charmants. Les microscopiques tableaux enfermés dans le cercle de ma lunette, brillants comme ces paysages qu’on peint sur l’émail des montres mignonnes, déliés et purs comme les nervures qui s’entrelacent sur l’aile de gaze des libellules, nets comme le travail du burin, m’émerveillaient par leur grâce, et, sans pouvoir m’en rassasier, je crois être involontairement remonté trois fois dans la mansarde pour en jouir. Le Mont-Blanc, drapé dans sa robe de nacre, veinée de lapis et de rose, semblait assister, roi paisible, à ce spectacle qu’il dominait de sa sereine majesté. Miroir à peine onde par une légère brise du nord, le lac, d’une fraîcheur toute printanière, se déroulait à petits plis coquets entre la Suisse et la Savoie. Loin, bien loin, rêvait dans une brume bleuâtre je ne sais quel village vaudois surmonté de son clocher. À travers les rideaux d’arbres sans feuillage, je distinguais des chaloupes légères gonflant le triangle de leurs voiles latines et des brigantines aux mâts verts, à la noire carène, au blanc éperon, sillonnant, avec l’aide des rames, la vague froide et claire. Les aiguilles étincelantes des Alpes, les roches pelées du Salève, les pentes neigeuses et solitaires du Jura, dont les sombres sapins varient seuls la monotonie, formaient le cadre immobile de cette nature d’hiver. La lumière en faisait la beauté, les ombres lui donnaient du caractère, et la vibration atmosphérique autour des masses frappées par le soleil, rochers ou édifices, lui communiquait en quelque sorte la palpitation de la vie. — Un clair de lune à éteindre presque