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Page:Amiel - Grains de mil, 1854.djvu/201

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sophie, comme la conscience chrétienne est une forme capitale de la conscience religieuse, et la conscience religieuse une forme essentielle de la conscience. — Que d’erreurs n’ont pas cours sur ce sujet dans l’Église et le monde, la foule et les lettrés.

CLV. — UN PRIVILÈGE.

Il y a, si l’on pouvait dire, des âmes de proie qui vivent de l’âme d’autrui sans qu’autrui puisse vivre de la leur. Comme les carnivores qui peuvent manger l’homme et ne sont pas mangeables pour lui, le privilège de leur nature les met à l’abri de la réciprocité.

CLVI. — LES VISIONS DE JEUNESSE.

Pourquoi retrouve-t-on si rarement dans la vie quelqu’une de ces rêveries prodigieuses, comme chaque adolescence en a connu, de ces rêveries grandioses, immortelles, cosmogoniques, où l’on porte le monde dans sa poitrine, où l’on touche aux étoiles, où l’on possède l’infini ? moments divins, heures d’extase où la pensée vole de sphère en sphère, pénètre la grande énigme, respire large, tranquille, profonde comme la respiration de l’Océan, sereine et sans limites comme le firmament bleu ; visites de la muse Uranie, qui trace autour du front de ceux qu’elle aime le nimbe phosphorescent de la puissance contemplative et qui verse dans leur cœur l’ivresse tranquille du génie sinon son autorité ; instants d’intuition irrésistible où