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Page:Anatole France - M. Bergeret à Paris.djvu/51

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père ! C’est de là qu’il nous regardait avec ce sourire si lent qu’il a gardé dans la maladie jusqu’à sa dernière heure. Je l’ai vu sourire doucement à la mort, comme il avait souri à la vie.

— Je t’assure que tu te trompes, Lucien. Notre père ne s’est pas vu mourir.

M. Bergeret demeura un moment songeur, puis il dit :

— C’est étrange : je le revois dans mon souvenir, non point fatigué et blanchi par l’âge, mais jeune encore, tel qu’il était quand j’étais un tout petit enfant. Je le revois souple et mince, avec ses cheveux noirs, en coup de vent. Ces touffes de cheveux, comme fouettées d’un souffle de l’air, accompagnaient bien les têtes enthousiastes de ces hommes de 1830 et de 48. Je n’ignore pas que c’est un tour de brosse qui disposait ainsi leur coiffure. Mais tout de même ils semblaient vivre sur les cimes et dans l’orage. Leur pensée était plus haute que la