Aller au contenu

Page:Anatole France - Pierre Nozière.djvu/110

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Charles X paraître sur le balcon, en bonnet de nuit à rubans et en robe de chambre à ramages. La clarté blanche du ciel coulait sur ses grands traits aimables et nobles. La bouche entr’ouverte, à sa coutume, il avait un air triste que je ne lui connaissais pas. Il regarda tour à tour longuement la lune montée au zénith et quelque chose qu’il tenait dans le creux de la main gauche et qui me parut être un médaillon. Puis il se mit à baiser tendrement ce médaillon, le bras droit tendu vers l’astre qu’il semblait prendre à témoin. Des larmes coulaient sur ses joues. J’étais si troublé de ce que je voyais, que le canon de mon mousquet se mit à battre violemment contre ma bandoulière. Les regards et les baisers se prolongèrent durant quelques instants. Puis le roi rentra dans sa chambre et j’entendis qu’il fermait la fenêtre.

« Leclerc, n’auriez-vous pas été touché à ma place de voir ce vieux roi en bonnet de nuit baiser un portrait, des cheveux, une relique de femme (je n’ai pu distinguer ce qu’il y avait dans le médaillon) et attester la lune, par ses larmes, de la fidélité de ses tendresses et de ses douleurs ? Pauvre roi ! il n’y avait plus que la lune alors qui sût ses jeunes amours !