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Page:Anatole France - Pierre Nozière.djvu/217

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Une épaisse forêt descendait alors jusque sur les grèves de la mer. Les lièvres l’habitaient. Elle recouvrait des marais peuplés de vanneaux, de bécasses, de canards et de sarcelles. Les mouettes déposaient leurs œufs sur la roche nue des falaises. Le cri aigu du héron et la plainte du courlis s’élevaient des grèves pâles où le cygne, l’oie sauvage et le grèbe, chassés par les glaces, venaient passer l’hiver dans les sables marins. Des hommes en petit nombre habitaient ces contrées sauvages. C’étaient de pauvres bateliers qui pêchaient dans l’embouchure poissonneuse de la Somme. Ils étaient païens. Ils adoraient des arbres et des fontaines. En vain les saints Quentin, Mellon, Firmin, Loup, Leu, et plus récemment, saint Berchund, évêque d’Amiens, étaient venus les évangéliser. Ils croyaient aux génies de la terre et aux âmes des choses.

Ces simples pêcheurs étaient saisis d’une horreur sacrée quand ils pénétraient dans les forêts profondes qui couvraient alors tout le rivage. Ils voyaient partout des dieux agrestes. Au bord des sources, où tremblaient les rayons de la lune, ils apercevaient des nymphes, des