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Page:Anatole France - Pierre Nozière.djvu/300

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et ceux-là, en grand nombre, que perça la lance d’airain, guerriers tués dans les combats, portant leurs armes ensanglantées, ils se pressaient autour de la fosse avec une immense clameur.

Et Ulysse, qui avait vu par les mers tant de spectacles à faire dresser les cheveux sur la tête, eut peur. Il écartait avec son épée ces ombres qui, comme une nuée de mouches, volaient autour des brebis égorgées et du sang des victimes. Reconnaissant sa mère dans l’essaim des âmes, il la chassa comme les autres. Car il voulait que le devin Tirésias bût le premier. Il aimait sa mère, mais il était pressé de se faire dire la bonne aventure. Au reste, si l’on songe que l’homéride suivait de très près quelque conte populaire, on ne sera surpris, pour peu qu’on ait l’habitude du folk-lore, ni de la gaucherie naïve du conteur ni de la dureté du héros. Pourtant, ce n’est pas Tirésias qui parle le premier. C’est Elpénor. Il parle sans avoir bu de sang. Et l’on peut croire qu’il a été introduit dans cette scène d’évocation par quelque nouvel aède peu soucieux d’observer les rites de la vieille nécromancie.

Mais il faut considérer aussi que la situation d’Elpénor est particulière. Il n’a pas encore sa