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Page:Anatole France - Pierre Nozière.djvu/40

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ma bonne par un pan de sa jupe d’indienne à fleurs, je regardais curieusement la machine qui, d’un air patient d’oiseau pêcheur, prenait sur le bateau les paniers pleins, puis, promenant en demi-cercle sa longue encolure, les allait verser sur la rive. À mesure que le sable s’amassait, des hommes en pantalon de toile bleue, nus jusqu’à la ceinture, la chair couleur de brique, le jetaient par pelletées contre un crible.

Je tirai la jupe d’indienne.

« M’ame Mathias, pourquoi ils font ça ? dis, M’ame Mathias ? »

Elle ne répondit point. Elle s’était baissée pour ramasser quelque chose à terre. Je croyais d’abord que c’était une épingle. Elle en trouvait chaque jour deux ou trois, qu’elle piquait à son corsage. Mais, cette fois, ce n’était pas une épingle. C’était un couteau de poche, dont le manche de cuivre représentait la colonne Vendôme.

« Montre, montre-moi ce couteau, M’ame Mathias. Donne-le moi ! Pourquoi tu ne me le donnes pas, dis ? »

Immobile, muette, elle regardait le petit couteau avec une attention profonde et je ne sais quoi d’égaré qui me fit presque peur.