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Page:Anatole France - Pierre Nozière.djvu/45

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vin blanc, en souvenir de son premier état ; car il avait été saute-ruisseau avant d’entrer au régiment. Elle l’avait repris alors ; elle l’avait ramené chez elle avec une joie triomphale. Mais il n’y était pas resté longtemps ; il avait disparu un jour, emportant, disait-on, une douzaine d’écus cachés par Mme Mathias sous sa paillasse. Depuis lors, on n’avait plus de ses nouvelles. On croyait qu’il s’était laissé mourir dans un lit d’hôpital, et on l’en approuvait.

« C’est pour vous une délivrance », disait mon père à Mme Mathias.

Alors des larmes brûlantes et comme enflammées montaient aux yeux de Mme Mathias ; ses lèvres tremblaient, et elle ne répondait pas.

Or, un jour de printemps, Mme Mathias, ayant serré sur ses épaules son terrible châle noir, m’emmena promener à l’heure accoutumée. Mais elle ne me conduisit pas ce jour-là aux Tuileries, notre jardin royal et familier, où tant de fois, laissant ma balle et mes billes, j’avais collé mon oreille contre le piédestal de la statue du Tibre pour écouter des voix mystérieuses. Elle ne me conduisit pas vers ces boulevards calmes et tristes d’où l’on voit, au-dessus des lignes poudreuses des arbres, le dôme