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Page:Anatole France - Thaïs.djvu/266

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dans un lit de pierre noire, m’a pressée sur son cœur. Il y a mille ans qu’il a reçu le dernier baiser de ma bouche, et son sommeil en est encore parfumé. Tu me connais bien, Paphnuce. Comment ne m’as-tu pas reconnue ? Je suis une des innombrables incarnations de Thaïs. Tu es un moine instruit et très avancé dans la connaissance des choses. Tu as voyagé, et c’est en voyage qu’on apprend le plus. Souvent une journée qu’on passe dehors apporte plus de nouveautés que dix années pendant lesquelles on reste chez soi. Or, tu n’es pas sans avoir entendu dire que Thaïs a vécu jadis dans Sparte sous le nom d’Hélène. Elle eut dans Thèbes Hécatompyle une autre existence. Et Thaïs de Thèbes, c’était moi. Comment ne l’as-tu pas deviné ? J’ai pris, vivante, ma large part des péchés du monde, et maintenant réduite ici à l’état d’ombre, je suis encore très capable de prendre tes péchés, moine bien-aimé. D’où vient ta surprise ? Il était pourtant certain que partout où tu irais, tu retrouverais Thaïs.

Il se frappait le front contre la dalle et criait d’épouvante. Et chaque nuit la joueuse de cinnor quittait la muraille, s’approchait et parlait