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Page:Anatole France - Thaïs.djvu/70

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mais la tristesse, le trouble et les noirs soucis ! L’amour est la cause de nos maux les plus cuisants. Écoute, étranger : Je suis allé dans ma jeunesse, à Trézène, en Argolide, et j’y ai vu un myrte d’une grosseur prodigieuse, dont les feuilles étaient couvertes d’innombrables piqûres. Or, voici ce que rapportent les Trézéniens au sujet de ce myrte : La reine Phèdre, du temps qu’elle aimait Hippolyte, demeurait tout le jour languissamment couchée sous ce même arbre qu’on voit encore aujourd’hui. Dans son ennui mortel, ayant tiré l’épingle d’or qui retenait ses blonds cheveux, elle en perçait les feuilles de l’arbuste aux baies odorantes. Toutes les feuilles furent ainsi criblées de piqûres. Après avoir perdu l’innocent qu’elle poursuivait d’un amour incestueux, Phèdre, tu le sais, mourut misérablement. Elle s’enferma dans sa chambre nuptiale et se pendit par sa ceinture d’or à une cheville d’ivoire. Les dieux voulurent que le myrte, témoin d’une si cruelle misère, continuât à porter sur ses feuilles nouvelles des piqûres d’aiguilles. J’ai cueilli une de ces feuilles ; je l’ai placée au chevet de mon lit, afin d’être sans cesse averti par sa vue de