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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/588

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au partage définitif, les plus désireux d’avoir en propriété un lot qu’ils pussent vendre et boire à volonté[1] !

Lorsque les Russes, qui connaissent le mieux le moujik, nous donnent des renseignements aussi contradictoires, un étranger aurait de la peine à choisir entre des avis si opposés et ne saurait sans témérité en tirer une conclusion. De telles divergences ne peuvent s’expliquer que d’une manière : ou le paysan se pose encore rarement cette grosse question que d’autres débattent en son nom, ou il n’a pas encore à ce sujet d’opinion arrêtée. En attendant, la plupart conservent les anciennes coutumes et les usages de leurs pères. Les faits n’en montrent pas moins que le moujik commence à s’interroger à ce sujet, et que sa réponse n’est pas toujours favorable au mir. Il ne faut pas non plus oublier que, sans passer à la propriété individuelle, un assez grand nombre de communes n’ont pas recouru aux partages depuis l’émancipation. Dans ces villages, le passage d’un mode de propriété à l’autre pourrait parfois s’effectuer sans brusque révolution, d’une manière presque insensible.

Un point est certain, c’est que, tout en maintenant d’ordinaire, là où elle existe, la propriété collective, les paysans russes n’ont pas, pour le régime opposé, pour la propriété individuelle et héréditaire, l’espèce de répugnance instinctive ou d’aversion raisonnée que leur a longtemps attribuée l’imagination de Herzen et des socialistes russes. Ils ne semblent nullement, comme le voudraient certains de leurs panégyristes civilisés, voir dans la communauté la seule forme naturelle et légitime de l’occupation du sol, dans la propriété personnelle une monstrueuse et inique usurpation. Les plus aisés aiment à acquérir un champ à eux. Chez le moujik, ce goût de tous les paysans du monde pour la terre n’est contre-balancé que par le goût national pour le négoce. Tous les inconvénients qui dans l’avenir

  1. Dmitrief, Révolutsionny conservatizm, p. 96-97.