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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/589

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semblent devoir pousser à la dissolution de la communauté, poids de la solidarité communale, insuffisance des allocations, poussent dès aujourd’hui à l’acquisition de la propriété individuelle Les serfs émancipés achètent de la terre, mais c’est à leurs anciens seigneurs, en dehors du domaine du mir. Cet appétit du paysan pour la propriété est remarqué de tous depuis l’émancipation. Les marchands achètent aussi beaucoup d’anciennes terres seigneuriales, mais d’ordinaire c’est pour les revendre par parcelles aux villageois. La demande des paysans est telle que ce système de morcellement est d’habitude très rémunérateur ; il y a un écart considérable entre le prix des terres vendues en bloc et le prix des terres morcelées. Dans le seul gouvernement de Koursk, les paysans des communes avaient en une année acquis pour 2 millions de roubles de terre. Ce mouvement de transfert de la propriété, signalé dans l’enquête agricole de 1872, s’est singulièrement accru depuis. Dans le gouvernement de Tver, les paysans ont, durant les dernières années du règne d’Alexandre II, acheté environ un demi-million d’hectares, en Tauride 430 000 desiatines, dans la province de Samara plus de 300 000, dans celle de Saratof plus de 200 000, dans celle de Kherson plus de 150 000[1]. Le moujik, le plus souvent, il est vrai, un paysan enrichi, achète d’ordinaire seul et par petite portion ; parfois cependant plusieurs se réunissent en artèle pour faire une acquisition, d’autres fois les achats se font par communauté. De grands biens, des domaines de plusieurs milliers d’hectares, sont ainsi tombés en possession de paysans associés. Quelquefois ces derniers gardent la terre en propriété indivise ; le plus souvent ils se la partagent d’une manière définitive, ce qui fournit un argument aux adversaires de la tenure commune[2]. De cette façon, beau-

  1. Materialy. De même, sous Alexandre III : la Banque des paysans leur a prêté, pour achat de terres, 16 millions de roubles en 1886, 13 millions en 1887 ; la moyenne du prix d’achat était, en 1887, de 41 roubles 73 kop. la désiatine.
  2. Dans le gouvernement de Tver, par exemple, sur 469 000 desiatines,