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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/31

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Falconnet. Les villes construites sur les fleuves ne sont à l’abri qu’en se mettant, comme Kazan, à plusieurs verstes de distance, ou en s’élablissant, ainsi que les deux Novgorod, sur les pentes des falaises qui dominent les rivières.

L’été a d’autres phénomènes moins redoutables, mais plus mystérieux, qui, dans le cœur de l’homme simple, éveillent de vagues terreurs. Sur les innombrables marais du Nord et du Centre auxquels souvent, comme en Occident, des craintes naïves ont donné le nom de Mare au Diable, voltigent des feux follets, pris par le paysan russe pour des âmes en peine. Dans le Nord, les aurores boréales mettent le ciel en feu, et leurs reflets, couleur d’incendie ou couleur de sang, semblent de sinistres présages. Dans le Sud et jusque dans le Centre, dans les steppes ou les plaines dénudées, c’est un spectacle plus rare, le mirage, qui, ainsi que dans les déserts de l’Asie, rend les objets lointains mobiles et présente aux yeux des images fantastiques. En quelques contrées de la Russie, plus d’une apparition miraculeuse, rappelée par des chapelles commémoratives, semble devoir être attribuée à des illusions de cette sorte[1].

En dehors de ces phénomènes naturels, les Russes de la Grande-Russie sont restés, pendant des siècles, sous le joug de trois fléaux qui ont plus fait encore pour les incliner à la superstition ou au fatalisme : ce sont les famines, les épidémies, les incendies. Cette Russie, si riche en blés, a eu pendant longtemps de la peine à suffire à sa maigre population. Le sol et le climat s’unissaient pour rendre les terres du Nord et du Centre peu productives ; il suffisait d’un retard dans le printemps pour empêcher les grains de mûrir durant le court délai que leur accorde l’été. Dans le Sud et la plus grande partie du tchernoziom, la culture, grâce aux Tatars, fut longtemps impossible ou

  1. Voyez ; p. ex., Herbert Barry : Russia in 1870, p. 194-199.