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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/448

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Entre les sans-prêtres et l’État, ou, mieux, entre les sans-prêtres et la société, reste la question du mariage, de la famille. Pour la bezpopovsichine, qui proclame la perte du sacerdoce, le mariage sacramentel n’existe plus. C’est là le point de vue commun de toutes les congrégations, c’est là, en même temps, le principal objet de leurs dissensions. La disparition du sacrement entraine-t-elle la suppression absolue du mariage, fait-elle du célibat une obligation universelle, ou la miséricorde divine et l’intérêt de la société autorisent-ils à suppléer au sacrement perdu ? Sur ce problème capital, tous les points de vue ont trouvé des partisans.

Les plus modérés ont conservé ou restauré l’union conjugale. Le mariage, disent-ils, n’est pas seulement un sacrement, c’est aussi une union civile, nécessaire à la société pour la propagation de respèce, et indispensable à la faiblesse de la chair pour éviter la débauche[1]. Ne pouvant faire consacrer leurs noces par un prêtre, ils se contentent de la bénédiction des parents ou du baisement de la croix et de l’Évangile, en présence de la famille, ce qui, pour les Russes, est la forme la plus solennelle du serment. Selon d’autres, comme certains pomortsy, le sacrement étant abrogé, toute l’essence du mariage est dans le consentement mutuel des deux époux, et la vie conjugale n’est légitime qu’autant que dure ce consentement. L’amour, disent quelques-uns, est de nature divine ; c’est à l’union des cœurs de décider de l’union des existences. On est surpris de retrouver chez de rustiques sectaires les théories les plus raffinées de tel de nos romanciers sur le droit divin de l’amour et l’assujettissement du mariage au sentiment. Nombre de ces moujiks ont mis en pratique dans leurs humbles izbas la troublante utopie du Jacques de G. Sand. Maintes babas villageoises ont, comme l’Héloïse d’Abailard, écarté le titre

  1. K. Nadejdine, Spory bezpopovtsef… o braké. Vladimir 1877. Cf. J. Nilsk Semeinaïa Jizn v rousskom raskolé.