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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 3, Hachette, 1889.djvu/449

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d’épouse, trouvant plus de douceur à ne rien devoir qu’à l’amour.

Ce que repoussent, sous le nom d’union conjugale, la plupart des bezbratchniki (sans-mariage), c’est l’union indissoluble. Sous de spécieux prétextes théologiques, beaucoup aiment à secouer le joug de ce qui ne leur paraît qu’une convention sociale. De même que plus d’un soi-disant philosophe, ces marchands ou ces paysans semblent considérer l’antique mariage chrétien comme une institution surannée. À ce contrat tyrannique, dont ni l’homme ni la femme ne peuvent se dégager à volonté, ils s’ingénient à substituer un mode d’union plus conforme aux exigences de la nature humaine. Aussi ces ignorants « sans-mariage » (bezbratchniki), qui semblent dupes de l’esprit de superstition, il se trouve de leurs compatriotes, affranchis de toute foi traditionnelle, pour les prôner comme des précurseurs de l’avenir et des pionniers du progrès social. Parmi les femmes du monde, j’en ai rencontré qui avaient l’air d’envier à leurs sœurs du peuple l’honneur de cette noble initiative. Avec l’engouement de ses pareils pour les « idées avancées », plus d’un Russe cultivé est porté à louer ces radicaux du schisme de ne point vouloir aliéner leur liberté, de remplacer les lourdes chaînes de l’union conjugale par des liens moins pesants à l’humaine faiblesse. On leur est reconnaissant de mettre en pratique l’égalité des sexes et l’émancipation de la femme, ainsi soustraite au servage domestique ; on les admire, pour un peu l’on en serait fier. « Ce ne seraient pas vos paysans normands ou bourguignons qui oseraient pareille hardiesse », me disait un étudiant de Moscou. Le fait est qu’aux deux extrémités de la pensée russe, le vieux-croyant bezbratchnik et le novateur révolutionnaire professent sur le mariage des principes analogues ; et le plus radical en pratique n’est pas toujours le plus négatif en théorie. Tels de ces sans-prêtres, instruits dans les vieux livres, ont réalisé d’avance l’idéal présenté à la jeunesse par les « hommes d’avenir » dans Que faire ? de Tcherny-