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Page:Apollinaire - Le Poète assassiné, 1916.djvu/300

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GIOVANNI MORONI

même était encombré de livres. Il y avait aussi des sphères, des instruments de musique et d’astronomie. Le moine était un beau garçon qui portait une couronne de cheveux noirs et drus ; sa robe était tachée de vin, de graisse et marquée de petites saletés consistantes et sèches. Il indiqua une chaise à ma mère, qui s’assit et me prit sur ses genoux. Lui-même se plaça dans un fauteuil de l’autre côté d’une table encombrée d’un fiasque à demi vide et d’un autre encore plein, à travers le goulot duquel luisait comme une topaze l’huile qui remplace le bouchon de liège. Il y avait aussi, sur cette table, une écritoire, un verre sale et un jeu de cartes crasseux. L’opération dura une demi-heure, prenant toute l’attention de ma mère, tandis que je n’étais occupé que du cartomancien, dont la robe s’était ouverte et le montrait nu au-dessous. Il eut l’audace, lorsque les cartes furent épuisées, de se relever ainsi, bestialement impudique, et de refuser les cinquante centimes que ma mère lui offrait, en faisant semblant de ne rien voir.

« Il semble que la sorcellerie de ce moine était précieuse pour ma mère puisqu’elle retourna chez lui. Mais il devait l’effrayer, car elle m’emmena toujours comme sauvegarde.

« Une fois, le moine lui remit un sachet contenant un petit morceau d’or, un autre d’argent, un