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Page:Apollinaire - Le Poète assassiné, 1916.djvu/373

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LES SOUVENIRS BAVARDS

incommode : elle m’éveille en sursaut et bien avant l’heure où j’ai coutume de me lever. »

Mais la nuit suivante je ne pus fermer l’œil. M. Chislam s’entretenait avec un homme, en nouvel anglais des États-Unis et avec l’accent de l’Ouest.

— Oui, Chislam, vous n’êtes qu’un malheureux qui mourrez seul, sans famille, sans amour.

— Vous avez raison, Chislam, et il faut bien que je me résigne. J’ai amusé dans ma vie des millions d’êtres dans les cinq parties du monde et je n’ai pas trouvé une épouse.

— Chislam, vous avez été la joie universelle, le rire même du monde tout entier. C’était trop pour une femme. Ce qui est pour tous peut bien, par l’énormité, effrayer un seul.

— Ainsi, Chislam, moi qui me croyais le plus comique des hommes, j’en suis le plus navré !

— Hélas ! Chislam, je pense comme vous ! Votre fantaisie qui déchaînait une allégresse inouïe jusqu’alors chez tous les peuples n’a pas suffi pour qu’une simple fille vous trouvât aimable. Perdue dans le public, elle pouvait rire avec lui ; mais si,