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Page:Apollinaire - Le Poète assassiné, 1916.djvu/380

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LA RENCONTRE AU CERCLE MIXTE

cossu. Et, s’il n’avait pas fait fortune, il fréquentait où elle se défait, car il était devenu rabatteur d’un grand tripot, un cercle mixte qui fonctionnait toutes les nuits, non loin du Trocadéro. Décider Van der Vissen à s’y faire présenter fut une chose aisée. Attiré par la passion du jeu et celle des femmes, le Hollandais, qui avait dans son portefeuille, en billets de banque, tout ce qu’il possédait, vint, un soir, au cercle.

Les formalités ayant été facilitées par l’administration du tripot, Van der Vissen pénétra dans la salle de jeu où la partie battait son plein. Il se mit à jouer et, le hasard secondant son audace, il gagna d’abord avec une veine insolente. Ensuite, il prit la banque et, la chance tournant soudain, il connut la déveine la plus noire. Quand il céda la place, la malchance le poursuivit, et plus il perdait plus il s’entêtait à jouer gros jeu. Les billets de banque lui fondaient dans les doigts comme s’ils avaient été de neige. Puis, lorsqu’il fut décavé, il s’efforçait de ne point le montrer, et c’est en souriant qu’il essuyait la sueur de son visage.

Près de lui, grande et souple, se tenait une jeune femme brune, aux yeux cernés, minaudière