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Page:Aristote - Poétique et Rhétorique, trad. Ruelle.djvu/322

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donner de l’élégance, ce sont d’autres termes qui ont été expliqués dans le traité de la Poétique. En effet, la substitution d’un mot à un autre donne à l’élocution une forme plus élevée, car l’effet différent que produisent sur nous des étrangers et nos concitoyens est produit également par l’élocution[1].

III. Voilà pourquoi il faut donner au langage un cachet étranger, car l’éloignement excite l’étonnement, et l’étonnement est une chose agréable. En poésie, plusieurs éléments amènent ce résultat et sont de mise dans ce genre-là, attendu que l’on voit de plus loin les choses et les personnes dont il est question. Mais, dans le discours pur et simple, ces éléments sont beaucoup moins nombreux, car le sujet est moins relevé. D’autant plus que, dans ce genre-ci, soit qu’on fasse parler le beau langage à un esclave ou à un tout jeune homme, ou qu’on l’applique à des sujets tout à fait secondaires, l’inconvenance n’en sera que plus sensible. Toutefois, même pour traiter de tels sujets, la convenance se prêtera tantôt au langage condensé, tantôt à l’ampleur. Aussi doit-on parler ainsi sans laisser voir l’art, et s’appliquer à ne pas paraître user d’un langage apprêté, mais naturel ; car celui-ci amène la conviction et celui-là produit l’effet contraire. En effet, on est alors prévenu contre l’orateur comme s’il était insidieux, de même qu’on se défie des vins mélangés. C’est ainsi que la voix de Théodore prévenait ses auditeurs contre celle des autres acteurs ; la sienne ressemblait à celle du personnage, tandis que celles des autres paraissaient affectées.

V. L’artifice se dérobe heureusement lorsque l’on compose un discours en choisissant ses termes dans le

  1. Suivant qu’elle est élevée ou commune.