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Page:Arnould - Quelques poètes, 1907.djvu/40

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QUELQUES POÈTES

sa curiosité et mettent en œuvre sa sympathie. Aussi, entre mêler les questions esthétiques d’anecdotes biographiques et les relier les unes aux autres par leurs délicates affinités, c’était un coup de maître, qui fut l’habileté en même temps que l’originalité de Sainte-Beuve. Non seulement il nous expliquait le caractère des physionomies littéraires, mais encore il rapprochait de nous les littérateurs, en montrant que, tout artistes qu’ils sont, ils sont hommes comme nous, avec des faiblesses comme les nôtres, parfois pires que les nôtres, notamment du côté de l’orgueil, et, en fin de compte, il rapprochait de nous la littérature.

Taine arriva et, avec son esprit puissant, mais insensible aux nuances, s’emparant de la vue juste de Sainte-Beuve, il la mit en système, ce qui la rendit célèbre et la faussa. Telle est l’opinion communément admise aujourd’hui par les critiques : mais le public est, en général, très éloigné encore d’une semblable sévérité et cite avec une admiration sans partage l’Essai sur La Fontaine et ses Fables, un des livres les plus brillants et les plus faux de la critique française. Sans compter que le fabuliste n’a sans doute jamais eu le dessein de représenter dans le détail toutes les classes sociales de son époque, ainsi que l’affirme l’auteur, comment peut-on prétendre qu’un écrivain est le produit nécessaire de la race, du milieu et du moment ; que La Fontaine, par exemple, fut fatalement ce que nous voyons qu’il a été, parce que c’était un Champenois vivant au temps de la cour