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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/141

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Peut-elle, doit-elle les mépriser ou les délaisser ? Il est nécessaire qu’elle soit importune aux uns et aux autres, parce qu’elle n’est ennemie ni des uns ni des autres. Les frénétiques ne veulent pas qu’on les lie ni les léthargiques qu’on les excite ; mais la charité fidèle continue à châtier le frénétique, à stimuler le léthargique, à les aimer tous les deux. Tous les deux sont mécontents, mais tous les deux sont aimés ; molestés tous les deux, ils s’indignent tant qu’ils sont malades, mais, une fois guéris, ils remercient.

7. Enfin, nous ne les recevons point parmi nous comme ils étaient, ainsi qu’ils le croient et qu’ils s’en vantent, mais nous les recevons tout à fait changés, parce qu’ils ne commencent à être catholiques qu’en cessant d’être hérétiques. Nous ne tenons pas pour ennemis les sacrements qu’ils ont en commun avec nous, parce que ces sacrements ne sont pas humains, mais divins. Il faut leur ôter l’erreur particulière dont ils se sont malheureusement pénétrés, et non pas les sacrements qu’ils ont reçus comme nous, qu’ils portent et qu’ils gardent pour leur condamnation, parce qu’ils les gardent indignement, mais enfin ils les gardent. Une fois l’erreur abandonnée et le mal de la séparation disparu, ils passent de l’hérésie à la paix de l’Église qu’ils n’avaient pas, et sans laquelle ce qu’ils avaient leur était funeste. Mais si, lorsqu’ils passent à nous, ils manquent de sincérité, ce n’est plus notre affaire, c’est l’affaire de Dieu. Quelques-uns néanmoins, dont on ne jugeait pas le retour véritable, mais seulement inspiré par la terreur de la loi, ont été trouvés tels dans la suite, au milieu de diverses épreuves, qu’on les préférait à d’anciens catholiques. Ce n’est donc pas agir pour rien que de presser d’agir. Car ce n’est pas seulement par les terreurs humaines qu’est battu en brèche le mur de la coutume endurcie, mais aussi la foi s’affermit et l’intelligence s’éclaire par les autorités divines et les bonnes raisons.

8. Cela étant, vous saurez que vos hommes du pays d’Hippone sont encore donatistes, et que vos lettres ne leur ont rien fait. Pourquoi ces lettres ont-elles été inutiles ? Il n’est pas besoin de l’écrire ; mais envoyez quelqu’un des vôtres, un de vos serviteurs ou de vos amis, à qui vous puissiez en sûreté confier cette affaire : il viendra d’abord, non pas sur les lieux, mais auprès de nous, à l’insu de ces hommes, et, après avoir pris conseil de nous, il fera ce qui paraîtra convenable avec l’aide de Dieu. En agissant ainsi, nous n’agissons pas seulement pour eux, mais aussi pour nos catholiques : le voisinage de vos gens leur est un danger dont il ne nous est pas possible de ne pas nous préoccuper. J’aurais pu vous écrire ceci très-brièvement, mais j’ai voulu que vous eussiez une lettre de moi qui vous fît connaître les motifs de mon inquiétude, et aussi qui vous mît en mesure de répondre à quiconque vous dissuaderait de travailler à ramener vos gens ou nous reprocherait de vous le demander. Si j’ai fait quelque chose d’inutile en disant ce que vous saviez déjà ou ce que vous aviez vous-même pensé, ou si j’ai été importun en écrivant une trop longue lettre à un homme si occupé des affaires publiques, je vous prie de me le pardonner, pourvu cependant que vous ne méprisiez ni mes avis ni mes prières : ainsi vous garde la miséricorde de Dieu.

LETTRE XC.

(Année 408.)

Nous avons raconté, dans l’Histoire de saint Augustin » (chap. XXIII), une émeute païenne à Calame, aujourd’hui Ghelma, contre les chrétiens de cette ville, à la suite de la célébration illégale d’une fête que nous croyons être la fête de Flore, le ter juin 408. Les excès commis faisaient redouter de rigoureux châtiments. Un vieillard païen de Calame adressa à saint Augustin la lettre suivante pour implorer sa miséricordieuse intervention ; cette lettre, qui est un hommage au pontife d’Hippone, montre aussi quelle idée les païens avaient d’un évêque.

NECTARIUS A L’ILLUSTRE SEIGNEUR ET TRÈS-AIMABLE FRÈRE AUGUSTIN, ÉVÊQUE.

Vous savez toute la grandeur de l’amour de la patrie, je ne vous en dirai rien ; c’est le seul amour qui, à bon droit, l’emporte sur l’amour des parents. Si les gens de bien ne se devaient pas à la patrie sans mesure et sans fin, je m’excuserais avec raison de ne plus lui rendre de services. Mais, comme l’attachement à la cité ne fait que s’accroître de jour en jour, plus on approche du terme de la vie, plus on souhaite laisser sa patrie tranquille et florissante. Aussi, je me réjouis d’avoir à tenir ce langage à un homme qui possède toutes les connaissances, il y a à Calame bien des choses que j’ai raison d’aimer, soit parce que j’y suis né, soit parce que je crois avoir rendu à cette ville de grands services. Mais, éminent et très-aimable seigneur, elle est tombée par un grave égarement de son peuple ; et si nous sommes jugés d’après la rigueur de la loi, cet égarement doit être frappé du châtiment le plus sévère. Mais il est du devoir de l’évêque de ne chercher que le salut des hommes,