Aller au contenu

Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/142

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de n’intervenir dans leurs affaires que pour rendre leur situation meilleure, et de demander au Dieu tout-puissant le pardon de leurs fautes. C’est pourquoi je demande et je supplie, autant qu’il est en mon pouvoir, que si la chose est défendable, l’innocent soit défendu, et ne subisse pas des châtiments immérités. Accordez-nous ce qu’une nature comme la vôtre prévoit bien que nous demandons. Une contribution pour les dommages sera aisée à imposer ; seulement qu’on nous épargne les supplices. Vivez de plus en plus agréable à Dieu, illustre seigneur et très-aimable frère.

LETTRE XCI.

(Année 405.)

Voici la réponse de saint Augustin à Nectarius ; c’est un très-curieux monument des relations entre les chrétiens et les païens des premiers âges de l’Église. Ce qui frappe dans le langage de l’évêque, en face des polythéistes, c’est un sens moral supérieur ; on y remarque aussi, dans sa plus sainte énergie, le prosélytisme évangélique, et, dans toute sa mansuétude, le génie chrétien. C’est cette lettre de saint Augustin qui nous a appris ce que nous savons des désordres de Calame à la fête de Flore.

AUGUSTIN A L’EXCELLENT SEIGNEUR ET HONORABLE FRÈRE NECTARIUS.

1. Je ne m’étonne pas que, malgré le froid de la vieillesse, votre cœur brûle de l’amour de la patrie, je vous en loue ; je vois, non à regret, mais avec plaisir, que non-seulement vous vous rappelez, mais encore que vous montrez par votre vie, que les gens de bien se doivent à leur patrie sans mesure et sans fin. C’est pourquoi nous voudrions qu’un homme tel que vous devînt citoyen d’une certaine patrie d’en haut dont le saint amour soutient notre faiblesse dans les dangers et les fatigues, au milieu de ceux que nous nous efforçons d’y conduire, afin que vous sussiez qu’on se doit sans mesure et sans fin à cette petite portion qui est sur cette terre comme en voyage ; vous en seriez d’autant meilleur que vous rempliriez des devoirs envers une cité meilleure vous trouveriez, dans son éternelle paix, une joie sans fin, après vous être dévoué à travailler sans fin pour elle pendant la vie.

2. Mais en attendant que cela arrive, car j e ne désespère pas que vous puissiez obtenir cette patrie et que votre pensée en soit déjà prudemment occupée (le père qui vous a engendré dans celle-ci vous y a précédé[1] ; donc en attendant que cela arrive, pardonnez-nous si, à cause de notre patrie que nous désirons n’abandonner donner jamais ; nous attristons la vôtre que vous voudriez laisser florissante. Si nous examinions avec votre sagesse de quelles « fleurs n vous parlez ici, je ne craindrais pas qu’il fût difficile de vous persuader et de vous faire convenir de quelle façon une cité doit fleurir. Le plus illustre de vos poètes a glorifié certaines fleurs de l’Italie ; mais, quant à nous, dans votre patrie, nous avons moins été à même de connaître par quels hommes cette terre a fleuri que par quelles armes elle a brillé ; que dis-je ? ce ne sont pas des armes, mais des flammes ; elle n’a pas brillé, elle a brûlé. Si un si grand crime demeurait impuni, si une juste correction n’atteignait les méchants, pensez-vous que vous laisseriez votre patrie florissante ? O fleurs sans fruits et suivies d’épines ! Voyez si vous aimez mieux que votre patrie fleurisse par la piété que par l’impunité, par la correction des mœurs que par la sécurité de l’audace. Comparez, et voyez si vous nous surpassez en amour pour votre patrie, si, plus ardemment et plus véritablement que nous, vous désirez qu’elle soit florissante.

3. Considérez un peu ces mêmes livres de la République, où vous avez puisé ce profond amour de la patrie, à laquelle tout homme d’honneur doit se dévouer sans mesure et sans fin. Regardez, je vous prie, et voyez quelles grandes louanges on y donne à la frugalité et à la continence, à la fidélité du lien conjugal, à cette loyauté de sentiments et à cette chasteté de mœurs dont la pratique rend une cité florissante. Or, ce sont ces mœurs qu’on recommande et qu’on enseigne dans les Églises qui croissent à travers le monde et sont comme autant de saintes écoles pour les peuples ; on y apprend surtout la piété par laquelle le vrai Dieu est honoré ; ce Dieu véridique qui non-seulement nous commande, mais encore nous fait la grâce d’accomplir tous ces devoirs, dont la pratique prépare et dispose l’âme à vivre en société avec lui dans l’éternelle et céleste cité. De là vient qu’il a prédit et ordonné le renversement des images de cette foule de faux dieux. Rien ne rend les hommes plus insociables par la corruption de la vie, que l’imitation de ces dieux tels que les représentent et les glorifient les livres des auteurs païens.

4. Enfin ces doctes génies, qui cherchaient non dans des actions publiques, mais dans des discussions particulières ce qui pouvait faire la grandeur de la République et de la cité de

  1. Le père de Nectarius était mort chrétien.