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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/172

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cette heureuse éternité, je sais qu’il faut pour cela brider les désirs charnels, ne donner aux sens que ce qui est nécessaire à la conservation et au travail de la vie, et supporter patiemment et fortement toutes les misères temporelles pour la vérité de Dieu, pour notre salut éternel et celui du prochain. Je sais que c’est un devoir de charité de ne rien négliger pour que notre prochain vive ici de façon à mériter la vie éternelle. Je sais que le spirituel doit être préféré au charnel, l’immuable à ce qui change, et que l’homme est pulls ou moins capable d’accomplir tous ces devoirs selon que la grâce de Dieu lui vient plus ou moins en aide, par Jésus Christ Notre-Seigneur. Pourquoi celui-ci est-il aidé de cette manière ? Pourquoi celui-là l’est-il de telle autre ou ne l’est-il point ? je l’ignore : je reconnais seulement que Dieu agit ainsi dans une souveraine justice qui lui est connue. Pour ces doutes inquiets sur la conduite à tenir avec les hommes, si vous pouvez les dissiper, instruisez-moi, je vous en prie. Mais si ces doutes sont aussi les vôtres, soumettez-les à quelque doux médecin du cœur, soit que vous en trouviez là où vous vivez, ou bien à Rome où vous allez tous les ans ; écrivez-moi ce que vous aura répondu ce médecin spirituel ou ce que le Seigneur vous aura inspiré dans vos mutuels entretiens.

7. Vous m’avez à votre tour demandé mon sentiment sur la résurrection des corps et sur les futures fonctions de nos membres dans cet état incorruptible et immortel ; voici brièvement ce que j’en pense ; si ce que je vais vous dire ne vous suffit pas, nous pourrons y revenir plus longuement avec l’aide de Dieu. Il faut tenir pour certain, d’après le témoignage véritable et clair de la sainte Écriture, que ces corps visibles et terrestres que l’Apôtre appelle des corps d’animaux[1], deviendront spirituels dans la résurrection des fidèles et des justes. Mais la nature spirituelle du corps est quelque chose dont nous n’avons pas l’expérience, et je ne sais comment on pourrait la comprendre ou la faire comprendre. Certainement il n’y aura pas là de corruption possible, et on n’aura pas besoin alors comme à présent d’une nourriture corruptible ; ce n’est pas que nos corps en cet état ne puissent prendre de nourriture ; sans en éprouver le besoin, il, auront la puissance d’en user. Autrement le Seigneur n’en aurait pas pris après sa résurrection, qui est une preuve et une image de la nôtre, selon cette parole de l’Apôtre : « Si les morts ne ressuscitent pas, le Christ n’est pas ressuscité[2]. » Lorsqu’il apparaissait avec brus ses membres et s’en servait, le Seigneur montra même la place de ses plaies. J’ai toujours entendu par là non des plaies, mais des cicatrices, qu’il conservait par puissance, non par nécessité. Cette puissance, il l’a partout fait éclater, soit en prenant d’autres formes, soit eu apparaissant visiblement à ses disciples réunis dans une maison dont les portes étaient closes[3].

8. Une question s’élève ici sur les anges ont-ils des corps adaptés à leurs fonctions et à leurs courses, ou bien sont-ils seulement des esprits ? si nous disons qu’ils ont des corps, on nous objectera ce passage du Psalmiste. « Vous qui faites des esprits vos ambassadeurs[4]. » Si nous disons qu’ils n’ont pas de corps, nous serons encore plus embarrassés des passages de l’Écriture où les anges se rendent visibles à des hommes qui les reçoivent dans leur demeure, leur lavent les pieds, et leur donnent à boire et à manger[5]. Il est plus simple de croire qu’on appelle les anges des esprits comme on appelle les hommes des âmes, ainsi qu’il est dit du nombre d’âmes qui se dirigèrent vers l’Egypte avec Jacob[6], car on ne peut pas plus prétendre que ces âmes-là n’eussent pas de corps, que de croire que les anges aient reçu, sans être revêtus de formes corporelles, tous les soins de l’hospitalité. De plus, on marque dans l’Apocalypse la taille d’un ange[7], on lui assigne une grandeur qui ne convient qu’à des corps ; cela prouverait que, dans les apparitions angéliques, il n’y a rien de faux, mais qu’il y a un témoignage de ce que peuvent des corps spirituels. Néanmoins, soit que les anges aient des corps, soit qu’on arrive à expliquer comment, sans corps, ils peuvent faire toutes ces choses, il demeure vrai que, dans cette cité de saints où les élus rachetés par le Christ seront réunis à des milliers d’anges, les sons de la voix serviront à exprimer des sentiments connus de tous, car dans cette société divine nulle pensée ne restera cachée au prochain ; on y sera en pleine harmonie dans une commune louange de Dieu, non-seulement par l’esprit, mais aussi par le corps spirituel : voilà ce qui me semble.

9. Cependant si vous savez déjà quelque

  1. I Cor. XV, 44.
  2. I Cor. XV, 16.
  3. Luc, XXIV, 15-43 ; Jean, XX, 14-29 ; Marc, XVI, 12-14.
  4. Ps. CIII, 4.
  5. Gen. XVIII, 2-9 ; XIX, 1-3.
  6. Gen. XLVI, 27.
  7. Apoc. X.