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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/186

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connu, n’importe comment, et ont vécu selon ses préceptes avec piété et justice, ont été, sans aucun doute, sauvés par lui, à quelque époque et en quelque région qu’ils se soient trouvés. De même que nous croyons en lui, que nous croyons qu’il demeure dans le Père et qu’il est venu revêtu de chair ; ainsi les anciens croyaient en lui, croyaient qu’il demeure dans le Père et qu’il viendrait avec un corps semblable au nôtre. Maintenant, à cause de la diversité des temps, on annonce l’accomplissement de ce qu’on annonçait alors comme une chose future, mais la foi et le salut n’ont pas changé. La différence des formes religieuses sous lesquelles une chose est annoncée ou prophétisée ne fait pas une différence dans la chose même ni une différence de salut ; et quelle que soit l’époque où se produit ce qui doit servir à la délivrance des fidèles et des saints, c’est à Dieu de la marquer dans ses desseins, et c’est à nous d’obéir. Ainsi la vraie religion s’est montrée et a été pratiquée jadis sous des noms, et, des signes qui ne sont pas les mêmes que ceux d’à présent ; elle était alors plus cachée, elle est maintenant plus manifestée ; autrefois connue à peine d’un petit nombre, elle 1’a été beaucoup plus dans la suite, mais elle n’a jamais fait qu’une seule et même religion.

13. Nous n’objectons pas que Numa Pompilius apprit aux Romains à honorer des dieux autrement qu’eux mêmes et les Italiens les honoraient auparavant ; noves ne rappelons pas qu’au temps de Pythagore, on vanta une philosophie auparavant inconnue, ou connue seulement d’un petit nombre de gens ne vivant pas dans les mêmes coutumes : ce qui nous occupe, c’est la question de savoir si es dieux sont de vrais dieux, dignes d’adoration, et si cette philosophie peut servir en quelque chose au salut des âmes ; voilà ce que nous débattons avec nos contradicteurs et ce que nous réfutons. Qu’ils cessent donc de nous objecter ce qu’on peut objecter contre toute secte et tout ce qui porte le nom de religion. Puisqu’ils avouent que ce n’est pas le hasard, mais la Providence divine qui préside à la marche des temps, il faut qu’ils reconnaissent que ce qui est propre et favorable à chaque époque surpasse les pensées humaines et vient de cette même Providence qui gouverne toute chose.

14. Car s’ils disent que la doctrine de Pythagore n’a pas été toujours ni partout parce que Pythagore n’était qu’un homme, et qu’il n’a pu avoir cette puissance, diront-ils aussi qu’au temps où il vécut et dans les lieux où sa doctrine fut enseignée, tous ceux qui ont pu l’entendre, ont voulu croire en lui et le suivre ? C’est pourquoi, si ce philosophe avait eu la puissance de prêcher ses dogmes où et quand il aurait voulu, et, qu’il eût eu en même temps une prescience générale des choses, il ne se serait certainement, montré que dans les temps et dans les lieux où il aurait su d’avance que des hommes croiraient en lui. On n’objecte point contre le Christ que sa doctrine ne soit pas suivie de tout le monde ; on sent bien que la même objection pourrait s’adresser aux philosophes et aux dieux ; mais que répondront nos païens si, sans préjudice des raisons cachées peut-être dans les profondeurs de la sagesse et de la science divine, et d’autres causes que les sages peuvent rechercher, nous disons, pour abréger cette discussion, que le Christ a voulu se montrer au milieu ; des hommes et leur prêcher sa doctrine dans le temps et dans les lieux où il savait que devaient être ceux qui croiraient en lui[1] ? Car il prévoyait que dans les temps et les lieux où son Évangile n’a pas été prêché, les hommes auraient reçu cette prédication comme l’ont fait beaucoup de ceux qui, l’ayant vu lui-même pendant qu’il était sur la terre, n’ont pas voulu croire en sa mission, même après des morts : ressuscités par lui comme Je fout aussi.de notre temps beaucoup d’hommes qui., malgré l’évident accomplissement des prophéties, persistent dans leur incrédulité, et aiment mieux résister par des finesses humaines que de céder à l’autorité divine après des témoignages si clairs, si manifestes, si sublimes. Tant que l’esprit de l’homme est petit et faible, il doit s’incliner devant la divine vérité. Si donc le Christ n’a vu qu’une grande infidélité dans les premiers temps de l’univers, quoi d’étonnant, qu’il n’ait voulu ni se montrer ni parler à des : hommes qu’il savait devoir ne croire ni à ses discours ni à ses miracles ? Il est permis de penser qu’à ces premières époques tous les hommes eussent été tels., à en juger par le nombre étonnant d’incrédules

  1. Dans les lignes qu’on vient de lire, saint Augustin ne parle de la prescience de Jésus-Christ qu’en passant et tout juste pour répondre à une objection des païens ; il laisse, évidemment subsister en son entier la question de la grâce. Les semi-pélagiens n’étaient donc pas fondés à s’autoriser de ce passage. L’évêque d’Hippone s’est expliqué sur ce, point dans le chapitre IX du livre de la Prédestination des saints. Saint Hilaire avait averti saint Augustin de cette prétention des demi-pélagiens, comme on le verra dans la lettre CCXXVI.