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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/188

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places d’honneur qui leur sont réservées et qu’elles sont là debout devant ceux qui les prient ou qui leur offrent des sacrifices, elles ont comme l’aspect et l’animation de personnes vivantes et font illusion aux esprits faibles qui les contemplent ; ce qui contribue surtout à cette illusion, c’est la piété de la foule empressée autour des autels.

2. Au livre 22 contre Fauste, et dans la Cité de Dieu, chapitres XIX et XX.

19. La divine Écriture veut remédier à ces impressions malsaines et pernicieuses, quand, pour mieux graver dans la pensée quelque chose de connu, elle dit, en parlant de ces idoles : « Elles ont des yeux et ne voient point, elles ont des oreilles et n’entendent point[1], » et le reste. Plus ces paroles sont claires et d’une vérité que chacun peut comprendre, plus elles inspirent une honte salutaire à ceux qui rendent en tremblant un culte divin à de telles images, qui les regardent comme vivantes, leur adressent des prières comme s’ils en étaient compris, leur immolent des victimes, s’acquittent des veaux et sont touchés de telle sorte qu’ils n’osent pas les croire inanimées. Pour que les païens ne prétendent pas que nos saints livres condamnent seulement cette impression faite sur le cœur humain par les idoles, il y est clairement écrit que « tous les dieux des nations sont des démons[2]. » Aussi l’enseignement apostolique ne se borne pas à ces paroles de saint Jean : « Frères, gardez-vous des idoles[3], » mais nous lisons dans saint Paul : « Quoi donc ? est-ce que je dis que quelque chose d’immolé aux idoles soit quelque chose, ou que l’idole soit quelque chose ? Mais les gentils qui immolent, immolent aux démons et non pas à Dieu : or, je ne veux pas que vous entriez en société avec les démons[4]. » D’où l’on peut suffisamment comprendre que, dans les superstitions des gentils, ce n’est pas l’immolation en elle-même qui est blâmée par la vraie religion (car les anciens saints ont immolé au vrai Dieu), mais l’immolation faite aux faux dieux et aux démons. De même que la vérité excite les hommes à devenir les compagnons des saints anges, ainsi l’impiété les pousse à la société des démons, pour lesquels est préparé le feu éternel comme l’éternel royaume est préparé pour les saints.

20. Les païens semblent vouloir se faire pardonner leurs sacrilèges par la beauté de leurs interprétations. Mais ces interprétations ne les excusent point, car elles ne se rapportent qu’à la créature et non pas au Créateur, à qui seul est dû le culte que les Grecs désignent sous le nom de latrie. Nous ne disons pas que la terre, les mers, le ciel, le soleil, la lune, les étoiles et certaines puissances célestes non placées à notre portée soient des démons : mais comme toute créature est partie corporelle, en partie incorporelle, ou, comme nous l’appelons encore, spirituelle, il est clair que ce que nous faisons avec piété et religion part de la volonté de l’âme, qui est une créature spirituelle, préférable à tout ce qui est corporel ; d’où il résulte qu’on ne doit pas sacrifier à la créature corporelle. Reste la spirituelle, qui est pieuse ou impie : pieuse dans les hommes et les anges fidèles, servant Dieu comme il faut le servir ; impie dans les hommes injustes et les mauvais anges que nous appelons aussi démons ; c’est à cause de cela qu’on ne doit pas sacrifier non plus à une créature spirituelle, quoiqu’elle soit juste. Car plus elle est pieuse et soumise à Dieu, plus elle repousse un tel honneur qu’elle sait n’être dû qu’à Dieu ; combien donc il est plus détestable encore de sacrifier aux démons, c’est-à-dire à une créature spirituelle tombée dans l’iniquité, reléguée dans cette basse et ténébreuse région du ciel comme dans une prison aérienne, et prédestinée à un supplice éternel ! Aussi lorsque les païens nous disent qu’ils sacrifient à des puissances supérieures qui ne sont pas des démons, qu’il n’y a entre l’objet de leur culte et le nôtre qu’une différence de noms, et que nous appelons des anges ce qu’ils appellent des dieux, ils sont à leur insu le jouet des ruses si variées des démons qui jouissent et se repaissent en quelque sorte des erreurs humaines ; les saints anges n’approuvent d’autre sacrifice que celui que la vraie doctrine et la vraie religion apprennent à offrir à ce Dieu unique qu’ils servent saintement. Et de même que l’orgueil impie soit des hommes, soit des démons, exige ou souhaite les honneurs divins, ainsi la pieuse humilité, soit des hommes, soit des anges, a toujours rejeté de tels hommages et montré à qui ils étaient dus. On en voit d’éclatants exemples dans nos saintes Écritures.

21. Mais il y a eu diversité de sacrifices selon les temps ; les uns ont été pratiqués avant la manifestation du Nouveau Testament, lequel est consacré par la vraie victime d’un prêtre unique, c’est-à-dire par l’effusion du sang du

  1. Ps. CXIII, 5.
  2. Ps. XCV, 5.
  3. I Jean, V, 21.
  4. I Cor. X, 19, 20.